Les modes de transmissions héréditaires à l’époque moderne dans le Haut Comté de Nice. L’exemple de Saint-Martin-Lantosque au XVIIème siècle
Les modes de transmissions héréditaires à l’époque moderne dans le Haut Comté de Nice. L’exemple de Saint-Martin-Lantosque au XVIIème siècle
Les modes de transmissions héréditaires à l’époque moderne
dans le Haut Comté de Nice.
L’exemple de Saint-Martin-Lantosque au XVIIème siècle
GILI Eric
Professeur d’Histoire Géographie au Collège de la Vésubie
Chandolent@gmail.com
L’étude des modes de transmissions héréditaires dans le Comté de Nice est un sujet d’étude déjà ancien. Il intéressa tout d’abord, comme il se doit, l’école juridique de Nice. Dans les années 1970, une série de recherches fut lancée et obtint de très intéressants résultats, sous la direction conjointe d’Ernest Hildesheimer et de Charles Fighiera, relayée par l’apport fondamental de Paul Louis Malausséna. Ces travaux s’intéressaient aux règles régissant les transferts de propriété, mais également à leurs « résultats » : comment héritait-on ? qui héritait ? de quoi ?…
- Ces approches ont connu depuis quelques années de profonds renouvellements essentiellement grâce à l’apport des méthodes de la micro-histoire. Celle-ci délaissait désormais l’étude des structures de transmission, la recherche des règles dont découlaient les modèles d’héritages, il convenait plutôt de discerner ce qui amenait le testateur à rédiger de telle façon son « dernier » acte, d’en considérer les incidences sur le devenir de son patrimoine, de son lignage, de sa famille. Cette recherche devait bien évidemment s’assurer des fondamentaux de l’étude. En s’intéressant par exemple à l’aspect « horizontal » de ces actes ; en les considérant les uns en rapport aux autres à la même époque, selon un mode de classifications sociales. Ou encore en portant son regard « verticalement », dans le temps. Cette vision permettait sans doute de considérer les transformations du mode de transmission, tel que l’avait déjà réalisé E. Le Roy Ladurie ou M. Agulhon. Mais une autre question, essentielle, pouvait désormais être posée : comment les individus réagissaient-ils à l’évolution formative juridique, aux nouvelles lois dites égalitaires ? ce mode existait-il auparavant ? dans quelle mesure ? et était-il usité ? ou sinon, quel autre mode prévalait à l’héritage et à la transmission ? comment l’individu réussissait-il à imposer son choix quand il était ou semblait contraire à celui qu’imposait la loi ?
- La problématique de cet article concerne les rapports qu’ont pu entretenir les familles avec leur patrimoine, considéré au moment de sa transmission, quelles qu’en soient les formes employées. Pour simplifier la réflexion, nous nous attarderons sur le seul aspect de la transmission du patrimoine foncier.
Un premier élément à considérer est la nature véritable du rapport existant entre le Patrimoine familial et son détenteur temporaire, le « propriétaire ». Celui-ci n’en est finalement que le propriétaire juridique et temporaire. Lui-même se juge plutôt dépositaire de ce patrimoine, et se donne comme but essentiel de le conserver, voire de l’améliorer quand les occasions s’en présentent, par l’achat, l’héritage, la mutation sous une forme ou sous une autre. Mais il ne peut éviter de le transmettre. C’est un impératif, même diminué, réduit d’une part qu’une mauvaise gestion ou des aléas événementiels n’ont pas pu conserver, au nom de la survie du groupe lignager.
Cette même conception sous-tend le concept de famille. Celle-ci doit se perpétuer. Il s’agit bien entendu d’une structure essentielle de la société, de sa part « d’éternité », le plus souvent assimilée à une véritable personne morale, qui se perpétue, qui se reproduit. Ce concept justifie les procréations multiples que l’on peut rencontrer dans les différents registres des baptêmes des paroisses, dès que l’on s’intéresse à la vie des couples. Et cela à cause et malgré les dangers importants qui menacent les tout jeunes enfants. Il n’est pas rare de constater, quel que soit le niveau social du couple, les très nombreuses maternités que les femmes subissent véritablement, le plus souvent de manière répétitive, les fragilisant et malgré les risques inhérents au manque d’hygiène et à la mauvaise nutrition générale. Il suffit pour cela de considérer les registres paroissiaux de sépultures pour s’en convaincre. L’observation du nombre de décès d’enfants de moins de 5 ans, et souvent celui des mères, est significatif.
Revenons au Patrimoine familial, considéré principalement sous l’angle de sa nature foncière. Son analyse à Saint-Martin-Vésubie, pour l’époque Moderne, démontre que la structure foncière reste caractéristique des espaces de montagne. Les familles sont détentrices d’un petit patrimoine foncier, et cela même quand il s’agit des plus importants groupes lignagers, qui ne possèdent guère plus de 8 ha pour les plus riches d’entre eux. C’est le cas des familles RAIBERTI, CAGNOLI ou encore FABRI. Et parmi celles-ci, seuls quelques individus, que l’on peut considérer comme les principaux chefs du lignage, en détiennent l’essentiel. Les autres membres de la famille, sans être totalement dépourvus, ne possèdent généralement pas même 3 ha. de terre.
Un contre-exemple existe. L’illustre famille DE GUBERNATIS, même au moment de sa toute puissance, au sommet de son pouvoir, à la fin du XVIIème siècle, apparaît comme peu possessionnée. Le Capitaine Claude, le plus « grand » propriétaire de la famille, ne possède, si l’on se réfère au cadastre de 1702, qu’à peine plus de 2 ha de terrains. Son véritable pouvoir est ailleurs. Il semble désormais certain que les représentants de la notabilité locale ne placent plus l’essentiel de leurs richesses et de leur pouvoir dans leur patrimoine foncier.
Ces familles en conservent pourtant encore suffisamment pour qu’il reste symbolique de leur place et fonction sociales. Leurs possessions se concentrent dans les meilleurs quartiers du village . La nature même de l’exploitation foncière agricole est significative d’une certaine recherche des terres de qualité. Il s’agit le plus souvent de grande pièces de terre, essentiellement composées de champs, préférés aux prés, installés sur les plateaux alluvionnaires les plus larges de nos vallées glaciaires. Ces terres ne sont pratiquement jamais divisées lors des transmissions, afin de leur conserver leur puissance productrice et l’image de la domination familiale qu’ils cherchent à imposer.
Avant de nous attacher à l’étude plus particulière des pratiques, il semble nécessaire de préciser le vocabulaire que j’emploierai dans cet exposé.
Précisons tout d’abord, ce que l’on entend par ‘famille’. Nous proposons d’en comprendre le sens non pas comme une simple cellule familiale, mais plutôt comme une structure élargie, dominée et dirigée par un « chef » reconnu naturellement par l’ensemble des cellules la composant. La notion de domination reste sans doute trop subjective, et il convient de lui donner un sens par l’exemple d’une réalité vécue.
Le « Dominant » détient, en plus de sa fonction reconnue, un titre qui peut être évalué selon l’aune sociale de l’époque Moderne. Certains sont géomètres (agrimentore) ; apothicaires (speciare), médecins (medico), chirurgiens (chirurgo) ; notaires (notario), avocats (avocato), juges (giudice, juge)… Ce sont en général les termes employés et qui indiquent, comme le feraient des marqueurs sociaux, une certaine hiérarchisation interne.
Ces qualités sociales sont alors précédées d’une présentation suffixale également significative : Sig. (signore), M° (missiou), Nob. (nobilo), Ill° (Illustrissimo), Dom. (Domino)… une distinction sociale importante qui ne trompe jamais, à l’époque Moderne, sur la qualité que l’on donne à un personnage. Le Noble homme ne l’est certes pas dans le sens de la noblesse telle qu’elle peut être entendue généralement en France selon l’historiographie traditionnelle, ni même celle définie comme « un groupe restreint, souvent actif, jeune, en état de renouvellement assez rapide » . Cette dénomination recouvre plutôt leur position sociale supérieure, celle propre à une certaine notabilité reconnue à l’échelle d’une ville ou d’une petite région. A l’extérieur de cette micro-société, cette dénomination sert de passeport social. Les individus, mais également leur famille et une partie de leur descendance, sont ainsi facilement identifiés par leurs interlocuteurs.
Tester est un acte volontaire, qui dénote une certaine inquiétude d’un avenir où l’on ne sera pas, mais sur lequel on espère encore agir. On ne peut l’espérer, évidemment, qu’à partir du moment où l’on donne aux successeurs les moyens de réaliser ces volontés, tout en lui laissant la jouissance d’une part suffisante pour que ceux mobilisés à cette tâche ne soient pas handicapant au développement de son foyer. Mais tous n’agissent pas de la même manière. Les pratiques successorales de nos régions peuvent généralement être divisées en deux groupes :
Celles jugées inégalitaires, quand tous les enfants n’héritent pas d’un même volume patrimonial. L’essentiel du patrimoine familial peut être attribué à l’aîné de tous les enfants, aux seuls garçons, ou à un des enfants, quel que soit son rang de naissance, mais toujours choisi parmi les enfants mâles.
Celles jugées égalitaires, qui offrent à tous une part comparable de l’héritage, ce qui s’entend, mais qui peuvent néanmoins être limitées aux seuls garçons, en excluant généralement les filles dotées.
Ces stratégies s’imposent dans les faits à l’idée généralement admise selon laquelle seuls les garçons héritent, et plus précisément l’aîné, contrairement au système présumé majoritaire de la primogéniture masculine.
Cette règle aurait pour origine la loi Salique, attribuée à la tribu Franque du même nom. Mais il s’agit selon toute vraisemblance d’une pure interprétation de cette loi coutumière qui fut fixée par l’écrit à l’initiative des légistes « gallo-romains » après la disparition de l’empire romain d’Occident, vers le VIème siècle de notre ère. Cette loi fut « retrouvée » bien à propos lors des prémices de la guerre de Cent Ans, afin de justifier le rejet du trône de France du souverain anglais (Edouard III) issu d’une branche maternelle (il est le petit-fils de Philippe le Bel, fils d’Isabelle de France), au profit du prétendant français (Philippe VI) issu d’un frère de l’ancien roi (Charles de Valois frère de Philippe le Bel). Le thème en a été repris et donne l’origine quasi-mythique de l’idée moderne de la prépondérance masculine sur l’héritage.
Dans les faits, la pratique est toute autre. Les registres notariés des études de Saint-Martin-Lantosque le vérifient.
Quand il s’agit d’égalité, celle-ci peut n’être destinée qu’aux seuls garçons. En Provence, les filles sont généralement dotées quelques jours avant leur mariage, ce qui les exclut de fait, selon une ancienne coutume, de tout accès à l’héritage foncier. Les statuts du Val de Lantosque, confirmés au XIIIème siècle, sont considérés comme restant en vigueur à la veille de l’arrivée des Révolutionnaire dans notre région, et continuent à exclure les filles dotées de l’héritage foncier.
Cette règle possède une origine ancienne, alors même qu’un exemple prestigieux la rattache à la transmission du titre comtal de Provence au moment de la disparition de la dynastie catalane. Raymond Bérenger V, dernier des comtes catalans, au début XIIIème siècle, n’avait aucun héritier masculin vivant au moment où il envisagea sa succession. Parmi ses filles, seule Douce n’était pas dotée lors de sa disparition. Elle devenait, de fait, l’héritière du Comté de Provence, qu’elle pouvait ainsi transmettre à son époux, Charles Ier d’Anjou (1215), frère du roi de France. Cette branche donna naissance à la première dynastie angevine de Provence, qui disparut avec la très illustre Reine Jeanne, à la fin du XIVème siècle. Cette dernière transmission féminine clôt le modèle, mais démontre que ce type d’héritage par les femmes reste possible.
Malgré la dédition de Saint-Martin [Val de] Lantosque, le 22 septembre 1388, qui sépara notre région des terres provençales durant près d’½ millénaire, les Terres Neuves de Provence, qui furent qualifiées de Comté de Nice au XVIème siècle, conservèrent des comportements très proches du reste de la Provence pour ce qui est des modes d’héritage. Elle ne se démarque pas totalement non plus du Piémont voisin, région qui possède d’importantes montagnes, dont les structures foncières sont comparables.
Considérons maintenant l’extrême variété des pratiques d’héritages, entre le XVIème et le XIXème siècle, en suivant l’exemple d’un lignage de Saint-Martin, recréant les liens existant entre les divers cousinages. Recherchons la diversité , en conservant une farouche volonté de refuser tout modèle, par nature trop restrictif. Cette démarche ne doit pourtant pas empêcher de dégager de véritables tendances. L’anecdotique permettra d’en illustrer les principes.
A Saint-Martin, la pratique héréditaire égalitaire n’est pas la règle, à quelque époque que ce soit. La multiplication des exemples suffit à le prouver. Formant une majorité de cas, ils ne peuvent donc pas être considérés comme des exceptions. Trop nombreux, ces actes répondent à une toute autre logique.
Une série continue de documents testamentaires de la fin du XVIIème siècle permet de soutenir la démonstration, et permet de choisir avec soin les éléments les plus significatifs de cette source. Le cadre géopolitique et mental où elle se développe est celui de la pleine diffusion des préceptes du Concile de Trente. La région niçoise est alors considérée comme une « tête de pont » du phénomène culturel et du sentiment baroque au contact de l’espace français . Ce qui explique qu’elle ne soit pas véritablement concernée par les prémices de la « déchristianisation » qui touchèrent la Provence voisine dès XVIIIème siècle, pour atteindre son paroxysme au XIXème siècle. Ce trait de caractère sembla tellement prégnant aux Révolutionnaires les plus endurcis qu’ils finirent par s’en convaincre, à l’issue de leurs vaines tentatives pour imposer le culte de l’Être Suprême.
Le testament « niçois » (ou plus justement gavuout) du XVIIème siècle peut donc être considéré comme « baroque ». Il répond à une formalisation bien précise, reproduite par les notaires qui usent de formules toutes faites.
Après le préambule, soulignant la proximité et la familiarité de la mort : « Car il n’est pas de cause plus certaine que la mort et plus incertaine que son heure… » ; le testateur ressent le besoin de préciser l’état dans lequel le notaire le trouve… argument juridique de première importance qui explique généralement que cet officier (le notaire ducal) se déplace hors de son étude : « sano per gratia di Dio di corpo ... et intelletto et in sua bona e ferma memoria … bien que malade corporellement et détenue au lit ».
Nous retrouvons grâce à cette formule le souci fondamental de la protection de l’âme, en précisant toujours que celle-ci : « …esser quella più degna del corpo », préoccupation double d’ailleurs, tant spirituelle que temporelle : « recommande son âme à l’Omnipotente Iddio (à la Toute puissance de Dieu), à la Glorieuse Vierge Marie et à tous les saints et saintes du Paradis, ordonne que quand son corps sera devenu cadavre, qu’il soit inhumé dans l’église paroissiale, et qu’il soit fait des funérailles suivant son grade et sa condition ».
Ces termes, à la fois conventionnels dans la première partie, et plus personnels dans la seconde, donnent une réelle dimension au choix du testateur. Après avoir hiérarchisé les besoins destinés à assurer sa propre protection spirituelle, selon les sentiments profonds de chacun, celui-ci accepte la règle particulière de l’inhumation commune à ses semblables. Elle intervient selon la formule traditionnelle, qui recouvre pourtant des réalités différentes. La condition sociale du défunt oblige à respecter une certaine pompe funèbre, codifiée par la tradition, sans qu’elle soit l’occasion d’une dépense somptuaire, d’ailleurs réglementée et fortement condamnée par la loi.
C’est à ce moment du testament qu’interviennent les dons de messes, les dotations aux chapelles et œuvres pies, puis les « gratifications » que s’autorise le testateur. Les dons spirituels alors prodigués permettent de percevoir une part de l’intime, du quotidien du personnage, et laisse parfois apparaître le ressentiment profond du testateur, ses croyances les plus personnelles, ce qu’il souhaite encore, une dernière fois, mettre en évidence dans l’espoir ultime de son salut.
Les libéralités consenties permettent au testateur de dévoiler sa sensibilité familiale, certaines relations qu’il entretient au quotidien qui expliquent le don supplémentaire. Une épouse aimée, un enfant attentionné, qui a vécu généralement dans l’intimité du testateur et lui a prodigué des soins, une attention particulière à laquelle il fut sensible, et qui soulagea ses vieux jours…
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Nous arrivons enfin à l’essentiel : la nomination de l’Héritier Universel. Cette partie du testament n’est généralement pas la plus volumineuse.
Le corpus traité regroupe une 40ène de testaments émanent de Saint-Martin-Vésubie durant la période allant de 1686 à 1702
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Quelques exemples suffiront à illustrer le caractère particulier de ce don majeur, destiné à assurer la continuité familiale :
« Le 27 juillet 1686 , la noble dame Jeanne AIRAUDI, du feu Messire Ludovic, et épouse de Messire François ASTRI de Saint-Martin … laisse pour héritage à Pierre Antoine et Ludovic ses fils légitimes et naturels 150 £ ducales pour chacun d’eux à payer par son autre fils dans l’année après son décès, laisse à Elisabeth épouse d’André GUIBERTO, à Marie épouse de Ciprien MATEODO, et Anne Marie encore nubile, ses filles, 200 £ ducales pour chacune d’elle à payer par ses héritiers 1 an ½ après son décès pour que chacune d’elles fasse célébrer 30 messes à son intention, lègue à Messire François ASTRI son mari pour l’amour qu’elle lui a toujours porté l’usufruit de chacun de ses biens dotaux ou extra-dotaux sa vie naturelle durant, et enfin, institue son autre fils Jean André héritier universel ».
Au total, 3 fils, 3 filles, et une somme léguée directement (si l’on excepte les pré-legs dont les destinations spirituelles obèrent également la masse héréditaire) de 900 £. Celle-ci occulte dans les faits la composition exacte de la dotation de l’héritier universel, Jean André, qui devrait recevoir l’essentiel des biens familiaux...
Cet acte illustre la fortune d’une dame de la fin du XVIIème siècle, juridiquement capable d’utiliser librement ses biens, et qui n’hésite pas à laisser transparaître les véritables sentiments qu’elle portait à son mari. Si l’on imagine que le mariage fut vraisemblablement arrangé entre les parents respectifs des futurs époux, selon les termes d’un véritable contrat, homogamique, certains actes « sociaux » ont effectivement pu se transformer en relations amoureuses. Il en est bien ainsi.
Le choix de l’héritier universel (XVIIème siècle) - retrouvez ces graphiques dans le fichier pdf
Ce testament illustre une série de successions, d’une grande variété, s’appuyant sur un héritier universel masculin, mais n’excluant pas pour autant une dotation supplémentaire aux filles, et un don plus particulier aux autres fils exclus de la succession majeure, sans pour autant que ceux-ci atteignent des niveaux « égalitaires ».
Un autre exemple s’appuie sur le choix d’un homme.
« Le 9 mars 1687 , Messire Nicolas BRONZINO de feu Jeannot, de ce lieu, institue héritières pour l’ensemble de ses biens Anne Françoise et Marie ses filles ».
- Il s’agit du type testamentaire le plus simple, celui d’un père de famille qui lègue à ses seules héritières l’essentiel de ses biens. Le partage s’effectue à parts égales, et accepte, par nécessité, la succession féminine.
Ou encore :
« Le 9 avril 1687 , à Saint-Martin, Andrinette de feu Pierre GUIGO Vallon de Venanson, veuve d’Anselme GUIGO d’Entraque … pour le reste de ses dots et de tous ses autres biens, droits et raisons, nomme Messire Antoine COTIGNOLI, Claudine épouse de Jean-Baptiste LEONE et Catherine épouse de Mathéo LEONE d’Entraque, tous les trois ses enfants, pour héritiers universel à égales portions ».
Cette nouvelle succession, issue d’un héritage féminin, est bien plus particulière. Elle introduit une certaine confusion entre fils et filles, qui bénéficient d’une répartition véritablement égalitaire du patrimoine maternel. Soulignons un dernier fait particulier. Les deux filles ne sont pas domiciliées à Venanson, mais à Entraque, où vraisemblablement la mère avait migré pour suivre son mari du temps de son union. Il semble même que le fils héritier soit issu d’un premier mariage, ce qui ne l’exclut pas pour autant du partage. D’autant plus que la mère teste à Saint-Martin, à proximité immédiate de son village d’origine. On imagine alors que ses biens sont immobilisés sur le territoire de l’une ou l’autre de ces communes voisines, et qu’Antoine COTIGNOLI y séjourne.
Un exemple plus complexe peut également être présenté. Il nous ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les sentiments qui prévalurent alors à l’établissement du testament, et affirme une forte volonté de préservation et de consolidation du patrimoine familial.
« Le 16 avril 1687 , à Saint-Martin, Messire Francesco BOCIONE du feu Messire Pierre, du présent lieu, pour tous ses autres biens nomme son héritier universel Jeannot BOCIONE son fils légitime avec charge d’établir un patrimoine clérical de 400 écus d’or à Pierre BOCIONE fils de Jeannot son héritier [qui est donc son petit-fils], et si un autre de ses petits-enfants entre dans le statut clérical, veut que le dit patrimoine soit spécialement constitué comme vient de le faire le testateur, de valeur équivalente. Une fois constitué et après la mort du titulaire de ce patrimoine, le testateur veut qu’il en soit fait retour à Jeannot ou à ses successeurs masculins, et seulement en cas de défection de mâle, qu’il aille aux femmes ».
Cet exemple nous permet de retrouver l’institution de l’héritier universel. Mais celui-ci se voit obligé d’installer les petits enfants du testateur, et tout particulièrement ceux qui désirent entrer dans les Ordres. Le testament nous offre une véritable définition sociale du Patrimoine Clérical, soulignant son caractère si particulier. Il est mis à disposition des clercs de la famille, leur vie durant, en quelque sorte « gelé », mais n’appartient pas pour autant à l’Eglise. Destiné à assurer l’essentiel des revenus du prêtre, il est destiné à retourner dans la masse héréditaire du lignage, et, dans des cas extrêmes, peut échoir à la parentèle, qui peut être favorisée à l’extinction du titulaire et du dernier héritier direct. Ici encore, l’héritage par voie féminine est envisagé, afin d’éviter la déshérence des biens, qui reviendraient alors à la Commune.
Un dernier exemple, enfin, complétera ce corpus.
« Le 28 mai 1690 , Messire François ASTRI de feu Pierre Antoine, qui pour tous ses autres biens, institue comme héritiers universels ses fils Pierre Antoine, Ludovic et Jean André, pour parts égales, et si l’un viendrait à mourir sans que son corps ait légitimement procréé, lui seront substitués ses autres frères et les leurs ».
Il s’agit effectivement d’une succession masculine égalitaire, qui introduit pourtant, en prévision, les potentialités d’un transfert de l’héritage à d’autres individus ou descendants de la famille, afin de s’assurer que les biens du lignage lui seront profitables dans la continuité et la durée. Ils remplissent ainsi le but essentiel de la transmission. La source notariale nous permet dans ces cas de nous approcher de l’un des sens de la vie de chacun, de retranscrire un environnement, un ensemble de ressentiments, et d’en donner quelques explications.
Il convient pourtant de ne pas se limiter à une telle étude, aussi enrichissante soit-elle. La méthode proposée demande à utiliser d’autres sources disponibles, telles que les cadastres anciens , mais aussi un affouagement (relevé de feux), disponible sur la même période. Elle permet également de confronter ces informations à des prospections de terrain et à la mémoire orale encore transmise et recueillie.
Ces rapprochements font apparaître l’importance de la possession des terres dans la stratégie de reproduction sociale familiale. La propriété foncière est relativement faible à Saint-Martin (en moyenne, 2 à 3 ha en général au XVIIIème siècle). La domination sociale se retrouve peut être plus encore dans la multiplication des unités familiales, qui composent réellement le lignage, dans son sens le plus large. C’est cette diversité des cellules familiales, tendant finalement vers un même but, qui explique qu’elles puissent agir de la même façon, en utilisant les seules méthodes qui s’offrent à elles, dans une action pouvant engendrer de véritables comportements parallèles entre les unités d’un même « clan ». Ces stratégies, s’additionnant, réduisent au minimum les risques pris par chaque « chef secondaire » de famille. Ces conjonctions prouvent à elles seules l’existence de la famille élargie, au-delà de la simple unité unicellulaire. Elles soulignent la conscience vécue, la solidarité qui s’exprime par la participation de chacune d’entre elles à la vie économique et sociale d’une structure humaine plus large encore, que l’on pourrait qualifier par bien des côtés de véritable clan. Régi par ses propres règles, donc par nature difficilement identifiable des autres, il peut être décelé par opposition à un autre.
Pour en corriger les contours, nous aurions pu utiliser d’autres marqueurs sociaux, tels l’appartenance à l’une des deux confréries de pénitents du village, la possession d’une chapelle, le rôle joué dans les enchères communales publiques… Ils n’auraient servi qu’à renforcer les remarques précédentes. L’analyse comparative des méthodes de transmission de l’héritage peut alors effectivement être considéré comme une méthode probante pour déceler les regroupements familiaux autour de quelques chefs de clans, qui ont su durant toute cette période user et jouer de ces règles non écrites au profit de leur propre lignage, mais également pour le bien de l’ensemble de la Communauté.
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L’adoption et l’application du Code Civil n’a finalement eu que des conséquences minimes. Ses principes de partage égalitaire ne provoquèrent, dans bien des cas, que quelques rajustements dans une pratique qui pré-existait. Pour les autres, cette dernière nécessita une véritable adaptation : certains testateurs n’hésitaient pas à donner « par avance », à favoriser l’un ou l’autre des héritiers… en utilisant les moyens mis à disposition par la nouvelle loi et utilisés selon le choix du « chef » de famille. Les pratiques « égalitaires » existantes, qui pourraient diviser, morceler la propriété, se trouvaient aussi renforcées par la dotation de l’épouse, en argent, qui permettait, le cas échéant, l’achat de terres, du moins si l’opportunité s’en présentait et le marché foncier le permettait.
Il reste à considérer les transferts internes à la famille, certaines parcelles obéissant à un retour « programmé » de la terre à sa famille d’origine, détenue jusqu’alors par des branches secondaires, après plusieurs générations. D’autres, externes, impliquent effectivement l’échange et la compensation. Il faut alors en découvrir le véritable but, hors du système mercantile et économique qui implique le seul transfert monétaire. L’extension de la base d’informations semble une nécessité et une pertinence pour pouvoir en tirer les informations essentielles. Elle permettra de répondre à de nouvelles questions : comment fonctionne le marché de la terre ; quels sont les différents modes d’exploitation : fermages et métayages ; quelle fréquence à ces échanges, à ces transferts, à la location, aux apports du crédit, aux relations d’entraide, d’amitié et d’alliances ; quel est le poids de l’indivision dans ce système.…
Tout ceci mènera à une réflexion sur les cycles familiaux (fondations, changement de composition, fin et transmission des familles), appelant à raisonner en terme d’exploitation plus qu’en celui de patrimoine foncier. Ils feront l’objet d’une prochaine étude.
In Pays Vésubie n° 5, pp. 81-92
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