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Douane et douaniers dans le Haut Pays Niçois : 1860-1940

Douane et douaniers dans le Haut Pays Niçois : 1860-1940

Douane et douaniers dans le Haut Pays Niçois : 1860-1940

GILI Eric
Professeur d’Histoire Géographie au Collège de la Vésubie
Chandolent@gmail.com
En collaboration avec Elodie DEPUIDT-GILI


Introduction
En 1860, le Comté de Nice et la Savoie furent cédés à la France en compensation de l’intervention des troupes impériales dans les durs combats qui opposaient les Piémontais unificateurs de l’Italie aux troupes autrichiennes occupant la Lombardie et la Vénétie.
Cette Annexion entraîna de fait un déplacement de la frontière du Var aux Alpes. Mais celle-ci ne tint aucun compte des réalités géographiques du territoire. Son tracé aurait logiquement dû adopter la ligne de partage des eaux. La nouvelle frontière était tracée de manière originale, puisqu’il s’agissait de répondre aux besoins stratégiques exprimés par l’État-Major italien. Celui-ci, fort des expériences du passé, cherchait à se prémunir d’une invasion potentielle en conservant la partie amont des vallées du Comté. De fait, celles-ci restèrent italiennes.

Comme l’affirme Joseph Martinetti , « la frontière est un fait géopolitique ». Elle bouleversa donc profondément les habitudes des hommes du Comté de Nice, et notamment ceux du Haut Pays. Le 11 juin 1860, la convention de rattachement de l’ancien Comté de Nice à la France était signée. La circulaire du 12 juin donnait pour instruction que « cette réunion s’accomplira le 14 du courant ». Dès le matin de l’Annexion, une ligne de douanes était établie sur les nouvelles frontières, tandis qu’à midi de ce même jour, la ligne précédente était levée . Le décret du 18 juin 1860 fixait les attributions des nouveaux bureaux établis dans l’arrondissement de Nice. L’article 2 traitait de ceux du côté de Nice , adaptant leur travail à la loi française.
Implantée dans un espace où les liens avec le Piémont ont toujours été très forts, l’irruption d’une nouvelle frontière soulève un certain nombre de questions. Comment la frontière s’inscrit-elle dans l’espace et dans l’esprit des gens ? Quelles sont les spécificités de la Douane dans le Haut Pays Niçois ? Comment cette administration favorise-t-elle l’intégration du Comté de Nice à une nouvelle Patrie ?

Une présence douanière qui matérialise la frontière

Implantation d’un nouveau réseau de bureaux et de brigades
Dès l’été 1860, un réseau de postes de Douane se met en place. Le décret du 12 juin précise, dans son article premier, que « la ligne des douanes françaises dans l’arrondissement de Nice sera établie … par les points suivants : Saint-Dalmas-le-Sauvage [Selvage], Saint-Étienne, Saint-Sauveur, Valdeblora, Saint-Martin-Lantosca, Roccabigliera, Borghe [Berghe, commune de Fontan créée seulement en 1871], Saorgio, Breil, Sospello, Castillon, Castellar, Garavano, Menton, Cap-Saint-Martin, Moulin-de-la-Turbie, La Turbie, Saint-Laurent, Esa, Beaulieu, Saint-Hospice, Villefranche, Nice, Pont-Magnan, Caras, Le Pont-du-Var.
L’ancienne ligne surveillant le Var devait être très rapidement redéployée sur les montagnes grâce à tout un maillage de bureaux, de brigades, de baraques-abris et de postes d’embuscades implantés sur le terrain. Il s’agissait d’établir les différents postes de douane là où la géographie physique du tout nouveau département des Alpes-Maritimes le nécessitait, c’est-à-dire, pour ce qui est du Haut Pays, aux principaux points de passage de cols et à leurs débouchés naturels dans les vallées.
Complété progressivement en fonction des besoins, ce réseau, désormais essentiellement alpin, comprend d’abord une série de bureaux de douanes dont la liste nous est fournie par les rapports annuels du service des Douanes. Le bureau de douane se définit comme un centre administratif, où s’établissent les principaux papiers relatifs aux douanes (passavants, franchises, billets de circulation, formalités diverses…). D’après les registres d’enquête des Inspecteurs des années 1920, ils sont établis aux lieux suivants : Saint-Étienne, Isola, Saint-Sauveur, Valdeblore, Saint-Martin-Lantosca, Roquebillière, Fontan, Saorgio, Breil, Sospello, Vintimille, Garavan et Menton-Gare .
Puis ce sont des brigades qui complètent cette organisation. Composées de préposés, dirigées par des brigadiers, tous en uniforme, elles sont les points d’appui de tournées de surveillance de la frontière. D’après ces mêmes registres, les brigades étaient situées à Saint-Étienne, Isola, Saint-Sauveur, Valdeblore, Saint-Martin-Vésubie, Roquebillière, La Bollène-Vésubie, Fontan, Saorge, Sainte-Claire, Breil, Brouis, Sospel, Castillon, Castellar, Garavan-Ambo, Garavan-Route.
Viennent ensuite quelques baraques-abris, postes avancés de l’Administration des Douanes sur le terrain. On en dénombre plusieurs dizaines pour toute la zone frontière. La commune de La Bollène-Vésubie en installe deux dès 1860, à Saint-Honorat et Saint-Sauveur . En 1867, la commune de Saint-Martin-Vésubie, avec l’accord du Préfet , accepte de céder gratuitement « un terrain pour un corps de garde pour la Douane… à l’embranchement des deux chemins de la Madone et du Boréon ou de Cerise … le lieu même où existait la chapelle de Saint-Grat » . Enfin, on relève sur les penthières - ces cartes figurant la zone d’action de chaque brigade - une série de lieux d’embuscades. Établis par la pratique, par des équipes qui connaissent bien le terrain, leur localisation reste approximative, volontairement, et leur dénomination sans rapport avec la toponymie habituelle, afin de ne pas dévoiler les emplacements d’embuscade. Les penthières étaient gardées au « secret » dans le poste de Douane.

Loin d’être rejetée, cette présence administrative de la douane fit au contraire l’objet de multiples convoitises.

Le poste de douane, un objet de convoitise entre communes
Nous avons déjà précisé dans quelles localités avaient été installés les différents postes de douane. Cette répartition spatiale ne s’est pas faite sans heurts. Nous retrouvons d’ailleurs à cette occasion les anciens antagonismes entre villages, que l’on qualifie généralement « d’esprit de clocher ». La dispute entre Lantosque et Roquebillière pour l’obtention ou le maintien d’un poste de douane est à ce sujet significative.

Les tensions apparaissent dès 1861, quand, le 18 juin, le maire de Roquebillière, MATTHIEU, adresse une lettre au Directeur Général des Douanes, à Paris, pour argumenter en faveur du maintien d’un poste de douane dans son village. Celui-ci devait être en effet transféré à Lantosque. À ses yeux, les raisons du maintien sont importantes. Tout d’abord, Roquebillière possède plus d’habitants que Lantosque. Le village possède ensuite une position centrale dans la Vésubie qui l’appellerait d’ailleurs à devenir chef-lieu de canton plus tard. Et, argument plus surprenant, il souhaiterait conserver le bureau afin « d’avoir quelques personnes qui par l’influence de leur emploi, leur caractère obligeant et leur bonne éducation, s’unissent aux personnes distinguées de la localité pour en civiliser les habitants et y maintenir le bon ordre… », ce que pratiquait avec aisance le premier lieutenant de Roquebillière, M. BOŸCE de CHOISY. L’affaire prend de l’ampleur le mois suivant, avec l’adresse au Préfet des Alpes-Maritimes d’une pétition signée par les autorités locales et les notables de la commune en faveur du maintien du bureau de Roquebillière. Elle est soutenue par le Juge de Paix du canton. Mais le Directeur des Douanes de Nice n’est pas favorable à ce que le « lieutenant momentanément installé [à Roquebillière] ne devienne le siège définitif de la résidence de cet officier ». Pour justifier ce refus, il avance l’avis du sous-inspecteur de Saint-Martin-Lantosque, M. PIETRA SANTA, qui affirme que ce maintien « serait essentiellement préjudiciable aux intérêts que [la Douane a] plus particulièrement mission de sauvegarder… ». Tout en reconnaissant l’intérêt de cette implantation car « en l’absence de la Gendarmerie, le bon ordre est souvent troublé… par une population assez turbulente », il penche plutôt pour la résidence définitive de cet officier à la brigade de Lantosque. Celle-ci doit « surveiller le passage dangereux du Raus et doit, en se portant sur les derrières de Belvédère, combiner ces inconvénients avec ceux de l’ambulante [de Saint-Martin] et lui prêter un concours efficace pour la vigilance à exercer sur la route du Piémont par Notre Dame de Fenestres… ». Il conclut que la brigade de Lantosque a un service trop important, qui nécessite l’aide du lieutenant. Le Préfet rejette la demande de Roquebillière le 5 août… Pourtant, c’est bien dans cette localité que fut établie une lieutenance indépendante, sans doute le résultat d’un compromis entre l’Administration et les autorités politiques locales.

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L’affaire rebondit en 1905. Cette fois, c’est Belvédère qui fait valoir qu’il serait intéressant pour l’Administration des Douanes de s’installer dans sa commune. « Étant plus rapprochée de la frontière, le service serait beaucoup moins fatiguant pour les Douaniers » . Plus simplement, « les propriétaires de bestiaux ne seraient plus obligés d’aller consigner à Roquebillière puis de remonter encore pour se rendre dans les pâturages dont les principaux sont en territoire italien », formalité dont doivent également s’acquitter les éleveurs de Lantosque, Levens ou Coaraze « qui emmènent beaucoup de bestiaux dans les pâturages de nos montagnes … ce qui entraîne une grande perte de temps ». Ces arguments sont malheureusement rejetés par le Directeur, le 7 juin, arguant que « les raisons de service et d’ordre topographique qui, en 1860, ont motivé après mûres réflexions, l’installation d’un poste à Roquebillière, ont conservé toute leur valeur, [la commune étant] placée au débouché des deux vallons de la Gordolasque et du Spaillard, traversée par la route départementale … et se prête mieux que toute autre à la combinaison des mesures de surveillance de la frontière ». Pour répondre aux arguments concernant l’activité d’élevage au quotidien, le Directeur rappelle qu’il a été octroyé des « facilités spéciales … pour la délivrance des passavants de pacage », ce qui a rendu « les dérangements… insignifiants ». Enfin, dernier argument, comme pour clore définitivement la tentative, il est rappelé qu’il « y a plus de bestiaux à Roquebillière et à Berthemont qu’à Belvédère ».

Roquebillière conserve effectivement sa brigade, et ce, jusqu’à la catastrophe de la nuit du 23 au 24 novembre 1926. Un glissement de terrain que les registres de la brigade relatent : « vers 3 h ½, un éboulement de terrain, partant de 50 m au nord de Belvédère, s’est abattu sur Roquebillière jusque dans la Vésubie, emportant plusieurs maisons (19) du village et faisant 19 victimes. Aucun agent de la résidence n’a été atteint. Le préposé GRAGLIA Marius, dont le logement est tout proche de l’avalanche de terre dut s’enfuir à demi-vêtu avec sa famille. L’obscurité d’abord, puis la menace de l’anéantissement de tout le village par de nouveaux éboulements qui se préparaient, rendirent momentanément tout travail de secours impossible. Néanmoins, dans les journées du 20 et suivantes, les agents se signalèrent par leur dévouement dans l’évacuation du village, leur concours au service d’ordre, leur endurance.

Tous se dévouèrent sans compter et notamment le préposé GRAGLIA Marius qui fit preuve de beaucoup de sang-froid. Le logement de cet agent étant en danger, l’accès en fut interdit. Dans la matinée du 1er décembre, sous la pression de la boue continuant à descendre, six nouvelles maisons se sont effondrées » .

Il faut attendre le 13 mars 1927 pour que la décision soit prise : « Par décision administrative n° 1359, du 25 février 1927, la suppression de la brigade de Roquebillière a été réalisée à compter du 1er mars 1927. Le service a cessé effectivement le 9 mars et les agents ont rejoint le poste qui leur a été enjoint le 12 mars ». En fait, la brigade n’est que momentanément installée à Belvédère, entre 1927 et 1938, puisque nous la retrouvons de nouveau à Roquebillière à la veille de la guerre .

Le poids démographique de la Douane
On comprend tout l’enjeu d’obtenir l’installation d’un poste de Douane au poids démographique que représentent les agents de l’Administration des Douanes et leurs familles dans les différents villages concernés.
Avant de s’attacher à le montrer, rappelons que cette Administration, au moment du transfert de souveraineté, eut à intégrer dans son corps d’anciens douaniers Sardes. Ce fut le cas d’autres administrations aussi, comme l’Armée. Hubert Heyries rappelle qu’en 1860, près de 89 % des soldats et sous-officiers niçois choisirent la France, proportion remarquable, mais que, par contre, seuls 8 officiers sur les 219 de l’armée Sarde firent le même choix .
Pour ce qui est de la Douane, cette intégration ne se fit pas toujours sans difficultés. D’après les registres du personnel consultés, 15 sous-brigadiers seraient passés au service des Douanes françaises, 9 auraient conservé leurs galons et 6 les auraient perdus .

Parmi ces derniers, le préposé de 1ère classe François ALBERTERI en poste à Saint-Martin-Lantosque, qui conteste, dès juin 1861, le fait d’avoir perdu des galons avec l’Annexion. Il fait agir tous les rouages de l’Administration pour obtenir sa réintégration dans l’échelon des sous-officiers. Son père, organiste bien connu, fait pétition auprès de M. le Préfet, arguant de la « blessure d’amour-propre » que son fils subit, souffrant lui-même de l’éloignement de celui-ci, qu’il présente comme soutien de famille.
En fait, la Direction des Douanes refuse les arguments paternels car l’ancien sous-brigadier piémontais « ne s’est pas présenté aux examens passés dans les brigades » pour réintégrer les grades. Elle ajoute que « cette abstention ne porte-t-elle pas avec elle son jugement ? ». D’après le Directeur de Nice, il n’avait d’ailleurs que « peu d’ancienneté par rapport aux autres sous-brigadiers, n’étant que le 3ème sur les 6 ». Enfin, le « nombre de postes disponibles » ne permet pas de répondre à sa demande de mutation pour Moulinet, son village d’origine, où il n’existe qu’un seul poste de sous-brigadier. On comprend, au travers de cette argumentation, que l’Administration française requiert de la part de ses fonctionnaires un minimum de compétences « pour remplir convenablement les fonctions de chef ». Mais qu’en plus elle hésite à installer un agent dans son propre village… Néanmoins, le grade de préposé permit à ALBERTERI, grâce au passage à la France, de recevoir « un traitement supérieur à celui dont il jouissait et qui a été élevé de 600 à 800 francs par an ».

Les archives de la Préfecture conservent 41 dossiers individuels d’officiers et sous-officiers entre 1861 et 1931. Et seuls deux concernent la période de l’Annexion. Le cas du préposé ALBERTERI est le seul dont le transfert, qui résulte pourtant d’un libre choix, semble avoir posé problème.

En dehors du prestige qu’elle inspire, la Douane est une administration qui compte, non seulement grâce à l’importance numérique de ses personnels dans les villages où elle s’installe, mais aussi parce qu’en temps que fonctionnaires, ils représentent un pouvoir d’achat relativement important et régulier par rapport aux revenus moyens des habitants du Haut Pays. L’arrivée de ces fonctionnaires dans un lieu apparaît donc comme une source de dynamisme et de revenus pour le village. Le relevé exhaustif des personnels à mobiliser et à évacuer en cas d’invasion adverse, daté de 1939, nous permet d’apprécier ce poids démographique.

Personnel des Douanes en 1939

Localité Agents Familles 
Saint-Étienne de Tinée 9 24
Isola 4 8
Saint-Sauveur sur Tinée 9 18
Valdeblore 3 10
Saint-Martin-Vésubie 8 22
Roquebillière 4 10
Fontan 21 40
Fontan non mobilisables  3 6
Breil route 14 34
Breil gare  16 31
Breil gare non mobilisables 5 12
Brouis  3 2
Sospel 9 21


  Sur un total de 10 villages parcourus, ce sont 104 personnels et leurs familles, soit au total 342 personnes, qui appartiennent directement à l’Administration des Douanes. 

Les résidences les plus importantes sont situées dans la vallée de la Roya, à Fontan et à Breil. Avec 21 agents, le poste de Fontan est d’une envergure certaine comparé au nombre d’habitants du village. C’est qu’il a toujours occupé une position stratégique d’étape sur la route de l’Italie par le col de Tende. Le deuxième poste, Breil, est en fait subdivisé en deux : Breil-route et Breil-gare, créé plus tard suite à l’implantation dans cette commune d’une gare internationale inaugurée en 1928, étape obligatoire sur la nouvelle voie ferrée Nice-Coni.
Ailleurs, les passages sont essentiellement pédestres, et descendent des montagnes. Les équipes sont donc plus faibles, mais doivent couvrir de vastes étendues.

La répartition des effectifs par vallée est éloquente : 25 agents en Tinée qui doivent couvrir les accès depuis les Mille Fourches, en passant par la Lombarde et jusqu’au vallon de Mollières ; 12 en Vésubie qui couvrent les cols de Cerise, de Fenestres et les passages par la Gordolasque ; 12 en Bévéra qui forment la barrière du passage de la basse Roya. Enfin, et cela n’est pas une surprise, 59 agents en Roya… C’est donc une forme d’occupation du territoire, la volonté d’assurer une présence humaine, qu’impose l’installation des postes des Douanes dans les villages cités.

La frontière, ligne de rupture ?
Les registres des événements étudiés présentent l’activité quotidienne des brigades et des bureaux des Douanes. Sous le commandement d’un capitaine et d’un lieutenant, les agents des Douanes agissent de jour comme de nuit sur l’ensemble du territoire qui leur est attribué. La surveillance de la frontière passe d’abord par un contrôle des passagers et des marchandises.
Posté devant sa guérite, stationné sur les principales routes qui descendent de la crête des Alpes, ou planqué au détour d’un chemin, le douanier a pour mission essentielle le contrôle de la circulation des hommes et des marchandises. L’établissement de la nouvelle frontière devait changer les habitudes de circulation des personnes. À ce sujet, la Convention de rattachement de 1861 met en place deux régimes : celui applicable aux frontaliers, en particulier dans les régions où les territoires communaux sont partagés, et celui applicable aux voyageurs franchissant la frontière. Les premiers sont exemptés de formalités de passage, tandis que les voyageurs franchissant la frontière doivent être munis de passeports . Cependant, compte tenu des habitudes sociales transfrontalières - Hervé Barelli estime que dans les années 1870-1880, les passages aux frontières d’Isola, Fontan et Menton par des personnes venant en France chercher du travail sont de l’ordre de 200 par mois - le régime du passage fut très variable et son application très souple. « Dès 1861, une différence est établie entre les habitants des provinces voisines du Comté pour lesquels un passeport délivré par les autorités italiennes suffit. Pour ceux originaires de provinces plus éloignées, l’autorité consulaire française doit y ajouter un visa … Le contrôle ne paraît être tatillon qu’en certaines occasions précises, comme le choléra de 1884 » .
Les brigades du Haut Pays ne connaissent pas une affluence comparable à celle de la Côte. Les registres annuels de service mentionnent en effet que les postes les plus actifs, compte tenu des flux de circulation, sont ceux de Menton-Garavan et de Fontan. Ces postes sont fréquemment visités par l’Inspecteur, alors que ceux du Haut Pays ne le sont qu’une à deux fois par semestre. Dans les années 1920, l’augmentation constante de l’activité de ces bureaux est étroitement liée à la croissance de la circulation automobile. Au contrôle habituel des voyageurs et des marchandises, s’ajoute à Fontan la visite quotidienne des deux services réguliers d’autocars de la ligne Nice-Coni. Il est convenu qu’un agent des Douanes monte dans le car avant son arrivée sur Breil et Fontan. L’escorte, selon les recommandations de la Direction de la Douane, ne doit pas se placer à côté du chauffeur, mais occuper une place dans le fond du car, d’où il peut observer tous les gestes des voyageurs. À leur descente, les passagers subissent une fouille et un contrôle d’identité.

Par sa vocation de surveillance de la frontière, la Douane est parfois amenée à intercepter des individus très particuliers. C’est le cas dans nos montagnes, par où tentent de s’échapper de véritables fugitifs. Le 18 mars 1866, le brigadier GALI et le préposé PASTOR, alors qu’ils « étaient en service au vallon du Tuy », signalent à la Gendarmerie de Saint-Sauveur le passage de deux déserteurs de la Légion Étrangère romaine en formation à Antibes, afin de procéder à leur arrestation conjointe. Le 21 mars 1913, les préposés MARTIN et TORRE, en service au Pont de Paule, arrêtent deux déserteurs du fort d'Entrevaux (Basses-Alpes) au moment où ils allaient passer en Italie. Les deux disciplinaires GUICHARD et GALLAND [des déserteurs], qui étaient dans une tenue mixte, ont été remis à la Gendarmerie de Saint-Sauveur qui a assuré leur retour au fort d'Entrevaux. Le 13 janvier 1920, le préposé CORNILLON « a arrêté deux prisonniers allemands, N. Kurt GEBAUER, soldat à la Cie 192 du Génie et Rudolf GUSSENHUHER, aviateur à l'escadrille 26, l'un et l'autre évadés du camp de Saint-Quentin, dans la nuit du 6 au 7 janvier. [Eux aussi ont été] remis entre les mains de la Gendarmerie à Saint-Sauveur ». On imagine le périple de ces deux prisonniers, qui tentaient de passer en Italie pour rejoindre plus tard leur pays. On comprend également mieux que les douaniers aient besoin d’être armés et entraînés.
Enfin, le brigadier COURT, de Saint-Étienne de Tinée, réussit-il à appréhender, en 1922, « une femme inculpée de complicité dans un crime », qui est remise à la Gendarmerie . Ces interventions restent atypiques, mais font partie des attributions de nos douaniers de montagne. De temps à autres, il s’agit de refouler quelques individus interceptés alors que leurs papiers ne sont pas en règle.

Le contrôle des passavants
Bien que de moindre importance, l’activité douanière du Haut Pays présente un certain nombre de caractéristiques qui sont propres au milieu montagnard. Dans une région où l’élevage reste une activité importante dans la période qui nous intéresse ici, une grande part du travail du douanier consiste à contrôler le passage des troupeaux. En effet, dans la mesure où des communes françaises possèdent une grande partie de leur territoire au-delà de la frontière tracée en 1860, cette zone de montagne est animée par un mouvement pendulaire de transhumances et de remues des troupeaux. Elles correspondent à un mode d’exploitation traditionnel, celui des bandites, ces vastes pâturages d’altitude qui représentent un élément essentiel du système économique local.

Cette situation géopolitique provoque naturellement des tensions, qui ne sont pas imputables à la présence des Douanes mais qui sont parfois exacerbées par les tracasseries quotidiennes qu’elles imposent. C’est ainsi que pour faire transiter, à proximité de la frontière, un animal, un mulet ou un bœuf par exemple, il convient d’obtenir du bureau de la Douane un billet de circulation qui l’autorise . Son défaut est considéré comme une contravention entraînant généralement un procès-verbal. Dans certains cas, cela est considéré comme une tentative de fraude.

De même, pour les troupeaux d’ovins, de caprins et de bovins circulant de parts et d’autres de la frontière, le propriétaire ou l’exploitant se voit dans l’obligation d’obtenir un passavant sur lequel est reporté à la fois le nombre et la nature des animaux concernés. Un croît imprévu ou un nombre sensiblement inférieur aux déclarations préalables font l’objet d’une enquête, et, le cas échéant, d’une « répression », selon le vocable utilisé alors. C’est le cas d’une note transmise par le lieutenant de Roquebillière concernant « un excédent de deux chèvres constaté par les préposés GRAC et RAYMOND de Saint-Sauveur » . Dans ce cas, le Capitaine de Saint-Sauveur TRAVAIL souligne que « bien que de peu d’importance, cette affaire aura néanmoins pour effet d’éveiller l’attention des agents appelés à procéder au dénombrement des troupeaux qui leur sont présentés. D’un autre côté elle servira d’exemple aux [contrevenants] qui tenteraient d’abuser de la confiance que leur personnalité peut inspirer ». Pour conclure, il estime qu’étant donné « la difficulté que créée à notre service la surveillance des entrées et sorties du bétail soumis aux régimes des passavants … la répression infligée par le receveur n’est pas exagérée ». Si le premier échelon de la hiérarchie soutient fermement son subordonné, il n’en va pas de même de l’autorité de tutelle, qui n’hésite pas à prendre des décisions plus « politiques ».
Le Directeur affirme, au contraire de l’avis du Capitaine, que « la répression a été absolument exagérée. Le droit compromis étant insignifiant, l’affaire ne comportait qu’une amende de principe ». Il ira même jusqu’à donner des ordres pour que soit effectué « le remboursement versé à titre de transaction » . À travers cette affaire, on devine qu’il s’agit d’une activité récurrente et pénible à laquelle doivent se soumettre les agents des Douanes avec le plus souvent de bien piètres résultats.

Les irrégularités conduisent à la saisie des animaux. Les exemples sont multiples : le 16 juillet 1897, ce sont 3 brebis et 1 mouton qui sont saisis par le sous-brigadier PLENT et le préposé DALMAS de Saint-Sauveur ; le 9 octobre 1901, 4 vaches saisies à 8 h du matin par le sous-brigadier GIRAUD et le préposé MALET, au préjudice de M. CESANO, qui les conduisait sans passavant ; le 28 avril 1903, ce sont les préposés ANSELMETTI et MALET qui saisissent à Saint-Martin une génisse circulant sans expédition dans la zone extérieure, « le délit de fraude étant d’ailleurs écarté par la suite de l’origine française de la bête dûment prouvée par le propriétaire, S. MAUREL » ; encore 3 brebis et un veau le 12 juin, puis 2 vaches et un veau le 24 août de la même année, toujours à Saint-Sauveur. C’est aussi le cas pour le mulet du sieur GIAUBERT de Saint-Martin arrêté le 29 mars 1921 à Roquebillière, ou pour les 2 vaches du sieur Baptistin CORNIGLION de Roquebillière « circulant sans expédition de Douanes en légitimant la présence dans la zone extérieure »… Il s’agit en général d’animaux que leurs propriétaires négligents déplacent sans autorisation ni intention véritable de fraude. Ces affaires se concluent invariablement par des autorisations à transiger et le versement d’une faible amende. Pour reprendre les exemples précédents, 25 francs à chaque fois, pour le boucher d’Entrevaux VERNOUX ou le berger de Cuers Arnaud ROSELIN…
Parfois même, il s’agit de faire preuve d’une grande vigilance, comme le 11 novembre 1911, quand les préposés MARTIN et CHARBONEL, en service au « Rocher Noir … en procédant au recouvrement d'un troupeau de menu bétail retournant au pacage à l'étranger ont constaté la substitution d'1 mouton blanc à 1 mouton noir »… Le capitaine précise alors : « Une commission contentieuse a été souscrite par le délinquant ». Le terme ne cesse aujourd’hui d’étonner pour ce simple fait.

Les négligences sont également relevées et appellent inévitablement à sanctions. Le 7 septembre 1909, ce sont les préposés BERNIE et REVEL, de la brigade de Roquebillière, « en circulation à proximité de ‘la pierre marquée’, qui rencontrent le sieur André AUBER … conduisant 15 moutons pour le compte de la veuve ROBINI, boucher en ce lieu ». Le passavant présenté est en fait périmé « depuis la veille à 4 h du soir ». Ou encore, le 3 juillet 1910, quand les préposés BELEOUD et BERNIE, « en service d’observation au Mont Lapassé ont trouvé à environ 100 m de la frontière un taureau sous la conduite du sieur CORNIGLION Baptiste de Roquebillière, lequel n’a pas présenté de passavant du pacage ». Interpellé, le berger déclare que « cette bête lui aurait été confiée par M. BAILE Louis, boucher à Saint-Martin-Vésubie, lequel lui a promis de lui faire parvenir le passavant de pacage qui lui avait été délivré à Saint-Martin-Vésubie ». Mais celui-ci ne l’a pas fait… L’objectif semble bien d’habituer les habitants du lieu au respect des règlements, mais l’on comprend que ces nouvelles obligations aient été parfois longues à devenir des réflexes.

L’instauration de droits de Douane
L’implantation d’une frontière devait aussi changer les comportements en ce qui concerne la circulation des biens puisqu’ils sont désormais, pour la plupart, soumis à des droits de Douane. Cette contrainte n’est pas sans créer de problèmes, en particulier dans le Haut Pays où subsiste « une population généralement peu aidée, et qui, faute de trouver dans la production locale, les grains dont elle a besoin, est obligée d’en importer du Piémont » .
La Direction des Douanes avait prescrit à tous les agents envoyés dans cette partie de la frontière pour y installer le service, d’agir à ce sujet avec la plus grande prudence, et de rendre compte du nombre d’incidents. C’est ce que fait le Receveur provisoire de Fontan, qui témoigne, dès 1860, de « l’émoi », de la « fraîcheur » et de la « profonde impression » des populations de cette partie de la frontière à l’annonce des tarifs sur les céréales. Malgré le dévouement de ses habitants à la cause française, il existe, selon lui, « des risques de regrettables conflits » si les tarifs douaniers sur les céréales sont maintenus. Il préconise de régler rapidement le problème, ne serait-ce que « pour faciliter l’installation de notre service [la Douane] au milieu de populations affranchies jusqu’à ce jour de toutes ces exigences ». En attendant un éventuel report de l’application du décret sur le tarif des céréales, de Saint-Étienne à Sospel, la Direction des Douanes demande au Receveur de Fontan de fermer provisoirement les yeux sur la provenance des grains et farines destinés à l’alimentation de cette même localité et des communes environnantes. Jusqu’ici, les blés étaient débarqués en franchise à Vintimille. L’application du régime des Douanes françaises prévoyait que « l’importation des grains et farines destinés à l’approvisionnement de ces populations serait admis au droit de 1 fr par 100 kg de grain froment et 25 cts pour les autres grains. Les farines de froment à 1 fr par 100 kg, les autres à 50 cts » . Pour prévenir toute spéculation, la quantité est limitée à 5 hectolitres de grain et 500 kg de farine. Finalement, la solution retenue est celle d’un droit de douane minimum plutôt qu’une franchise absolue, ceci, afin d’habituer les populations à venir présenter les marchandises au bureau des Douanes. « Il est essentiel de leur donner cette habitude avec tous les ménagements qu’exige la question politique qui prédomine ici la question du tarif » .
A contrario, certains habitants cherchent à tirer profit de l’instauration de droits de douane. Prenons l’exemple de la commune de Moulinet, dont le Conseil Municipal réclame au Préfet, en juillet 1876, l’imposition d’une taxe sur l’importation de glace vive. En effet, les marchands de glace de Moulinet et de Lucéram se plaignent des préjudices causés par l’introduction en France, par une société italienne, en toute franchise, de ce produit. Pour lutter contre la concurrence étrangère, le Conseil propose d’établir un droit d’entrée de 5 frs par 100 kg sur la glace vive dans le prochain traité de commerce avec l’Italie. La réponse du Ministère de l’Agriculture et du Commerce est négative. « Les droits de Douane ont pour but d’égaliser les conditions de la concurrence entre les produits de fabrique étrangère … mais la glace ne supportant aucune charge, il n’y aurait pas lieu de frapper d’un droit à l’entrée le produit similaire échangé » . Il fut donc impossible de modifier le régime de franchise absolue que la glace a toujours rencontré à l’importation en France.

Des missions pour la sécurité de l’État
La période du Second empire (1852-1870) impose d’autres exigences aux douaniers. Il appelle à la vigilance de ses agents concernant l’introduction potentielle d’ouvrages prohibés, de pamphlets politiques mettant en cause le régime. Le 2 décembre 1865, le Conseiller d’Etat, directeur général BARBIER prévient les brigades d’une possible introduction de publications interdites en France : Parisianz, ou c’est lui le César moderne, une traduction française du drame de Berlazzi, Joséphine de Beauharnais, ou encore le 27 mars 1866, des Considérations politiques sur Napoléon III… Les exemples sont multiples et démontrent le rôle dévolu aux agents des Douanes, véritables remparts du régime politique. Cette attribution confirme plus encore le caractère de la frontière comme une nouvelle rupture de l’espace. Par contre, nous n’avons relevé aucun cas de saisie des dits ouvrages et feuilles pamphlétaires dans notre région. Ces mesures prennent fin, sous la IIIe République, avec le vote de la loi de 1881 sur la liberté de la Presse.
Occasionnellement, les Douaniers ont aussi à remplir des missions d’espionnage. En septembre 1870 par exemple, le sous-inspecteur des Douanes à Saint-Martin-Lantosque informe sa hiérarchie qu’un corps de 60 000 hommes serait centralisé à Coni, ville située à 8 h de marche de Tende, et à 10 h de Fontan, premier bourg français… C’est aussi le cas à l’Authion, où le poste de Gendarmerie a été remplacé par un poste de Douane, en 1909. Indépendamment de leur surveillance normale, les agents avaient à accomplir la mission d’espionnage qui était autrefois dévolue aux Gendarmes.

Une frontière invisible ?
Une place prépondérante de l’activité quotidienne des Douaniers consiste à lutter contre la fraude. Sans être absente du Haut Pays, la fraude n’y est pas très active. Nous avons relevé dans les registres des événements de Saint-Sauveur (1860-1935) et de Roquebillière (1902-1926) par exemple que 46 actes de saisies constatées par les agents des Douanes. Ce faible niveau de fraude est lié à une moindre intensité des échanges, compte tenu des liaisons plus difficiles avec le Piémont. D’après les registres des Douanes, la fraude revêt plusieurs formes. Les actes de contrebande sont classés en six catégories : ceux de bandes organisées, peu fréquents ; ceux des colporteurs et pacotilleurs ; la fraude liée au passage des voitures et embarcations autre qu’à autopropulsion ; celle liée aux passages automobiles, en progression dans les années 1920 ; et la fraude à l’aide de chiens.
Le rapport annuel de l’Inspecteur pour l’année 1922 précise qu’il y a eu 53 actes de contrebandes de colportage, et 275 actes de pacotilleurs, ce qui représente des « fraudes de filtration moins active que l’année précédente ». Les rapports de service des années 1920 indiquent que la fraude est étroitement liée à la présence de travailleurs émigrés italiens dans le Haut Pays. Ils soulignent néanmoins la diminution progressive des actes de fraude, celle-ci étant liée à une augmentation du coût de la vie en Italie, ce « qui a pour effet de diminuer naturellement les bénéfices illicites réalisés au détriment du Trésor ». De fait, aucun acte de fraude n’est transcrit en 1922 à Saint-Sauveur et à Roquebillière. L’Inspecteur précise, pour conclure, que seule « la circulation irrégulière des bestiaux a donné lieu à quelques constatations contentieuses sans importance caractérisée » dans la montagne niçoise.

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Une répartition selon la nature des saisies nous permet de préciser ce qu’elles représentent. La grande majorité des affaires (30 sur 46, soit 64 %) concernent le bétail. 51 % sont des négligences, le plus souvent volontaires telles que celles de ne pas avoir régularisé les papiers nécessaires au franchissement de la frontière par les animaux. En 1902, par exemple, le boucher de Belvédère, Marius BACCIALON, est interpellé avec un porc à Croisière Saint-Jean par les préposés GAUBERTI et MARTIN qui étaient en observation sur ce point. « Leur ayant déclaré qu'il venait de prendre livraison du dit porc acheté par lui au sieur LAURENTI, cultivateur à Belvédère - Saint-Jean et ajouté qu'il n'avait aucune pièce de Douane en autorisant la circulation, il lui déclarèrent procès-verbal pour circulation sans expédition dans la zone extérieure ». Comment imaginer qu’un professionnel tel qu’un boucher, plus de 40 ans après l’Annexion, ne connaisse pas les procédures pour faire transiter des animaux ?

La véritable fraude représente les 3/7e des saisies effectuées, mais un total de 40 % des cas recensés comme tels si l’on ne prend pas en compte les arrestations de fugitifs. Notons le passage des troupeaux « d’importation », qui sont d’ailleurs composés d’ovins « italiens », que nous appelons encore aujourd’hui « tendasques et brigasques ». Nous imaginons ainsi le cheminement de ces troupeaux, depuis la Haute Roya ou le proche Piémont, jusqu’en France par le vallon de Mollières.

Le tabac (11 %) fait l’objet d’une fraude régulière bien qu’elle soit de petite quantité. 500 g de tabac à priser sont par exemple saisis le 23 juillet 1864 par la brigade de Saint-Sauveur, 300 g de tabac à fumer et 45 cigarettes le 3 décembre de la même année. Une nouvelle fois 500 g de tabac à priser le 18 décembre, et 500 g de tabac en poudre le 25 mai 1865. Notons que la circulation et les tentatives de fraudes ne s’arrêtent pas en hiver, puisque toutes les prises de décembre sont effectuées sur des individus revenant de Mollières, français comme italiens. La dernière prise relevée, celle du 28 juillet 1925, concerne 50 cigares, 200 cigarettes et 1 000 allumettes de cire.
Le trafic de vin (9 %) est rare mais exceptionnel par les quantités saisies par le bureau des Douanes de Roquebillière, entre août 1909 et août 1910. Pas moins de 4 chargements de vin sont interceptés, soit 3 300 litres. Ce sont des agents affectés à la circulation sur la route départementale qui effectuent ces saisies. Deux d’entre eux étaient destinés à alimenter Saint-Martin-Vésubie, les deux autres Belvédère. La plus belle prise concerne une charrette attelée de deux mulets et d’un cheval, qui portaient 24 hectolitres de vin rouge…
Parmi les produits fraudés, on trouve aussi mention de tissus, de vêtements, de savon, des fruits (notamment des pommes en Roya) et légumes… Il faut attendre la fin de la 2e Guerre mondiale pour que de nouveaux produits fraudés apparaissent tels que le sel et le riz, qui circulent en grande quantité (plusieurs centaines de kg régulièrement saisis), et aussi des devises françaises…

Les récompenses accordées aux agents des Douanes pour ces prises soulignent leur faible valeur mais mettent en évidence la pertinence des surveillances effectuées par les fonctionnaires.

En 1939, une saisie originale apparaît dans le Haut Pays. Le préposé GIUGE de la brigade de Saint-Sauveur, en surveillance au Pont Noir remarque une automobile en stationnement. Après une journée de surveillance avec son collègue MUSSO venu le seconder, il aperçoit cinq personnes qui venaient « de l’étranger », monter dans la voiture et démarrer vers Saint-Sauveur « à toute allure ». Les douaniers s’y étaient rendus « en motocyclette et attendaient leur arrivée au Pont de Paule », mais ils ne purent stopper la voiture, et MUSSO se mit à leur poursuite en moto, traversant le village de Saint-Sauveur sans s’arrêter au bureau d’entrée. Le rapport affirme que « malgré les appels répétés [de l’agent], le conducteur … redoubla sa vitesse et gagna du terrain ». Le capitaine, prévenu, fit dresser un barrage de Gendarmerie à Plan du Var, qui intercepta les fuyards. La visite minutieuse du véhicule mit en évidence une fraude portant sur … 2 kg 100 de truites, qui coûtèrent aux contrevenants 1 642 francs d’amende.

Douaniers et contrebandiers
Dans nos montagnes, la confrontation avec les contrebandiers ne donne pas lieu à une importante violence. Quelques cas intéressants démontrent même l’existence de relations entre les agents des Douanes et les contrevenants, dont certains étaient d’ailleurs bien connus de l’Administration.

C’est ainsi qu’en 1923, le brigadier RIBOUET et le préposé ALECH, de la brigade de Saint-Sauveur, planquent ½ journée afin de surveiller une vache qui semblait abandonnée dans une grange en ruines. En milieu d’après-midi, ils voient arriver « un individu qu'ils reconnurent pour être le sieur RICHIER Emile, fils majeur du sieur RICHIER Joseph, facteur des postes à Mollières (Italie) », qui fit sortir l’animal de la grange « et se dirigea à vive allure vers la frontière ». Quand les douaniers sortirent de leur cachette, le père d’Emile, « qu'ils ont parfaitement reconnu … caché à la lisière du bois et [qui] faisait sûrement le guet cria [à son fils] ‘sauve toi, voilà la Douane’ ! »…Plongeant alors dans le bois salvateur, ils disparurent tous deux, malgré les coups de feu tirés en l'air pour les intimider.

D’autres cherchent à dissimuler. En 1923, le brigadier RIBOUET et les préposés MARTIN et MUSSO, de la brigade de Saint-Sauveur sur Tinée, voient se diriger vers le village, Florentin ROUX, un cultivateur qui conduisait un âne chargé d’un fagot de bois mort. Après l’avoir suivi, ils l’interpellent « au moment où il s’engageait dans la rue où il habite ». Il leur déclare alors qu’il transporte, en plus de son bois, « un paquet de tissus que le … facteur des postes à Mollières (Italie) avait importé d'Italie [la nuit précédente] et qu’il avait déposé dans sa grange située au quartier Le Teillo, à proximité de la frontière. Il … avait accepté de descendre ces tissus chez lui et affirmé que RICHIER devait les prendre dans quelques jours ». Au total, ce sont 11 kg ½ de tissus qui ont été passés en fraude.

Il y a enfin ceux qui préfèrent prendre la fuite. En 1910, le brigadier GRAGLIA et le préposé GIUGE, de la brigade de Roquebillière, en poste à 800 mètres de la frontière sous Ferisson, aperçoivent, vers 8 h 30 du matin, « deux individus chargés de deux ballots » qui prennent la fuite dès qu’ils aperçoivent les douaniers. Mais ceux-ci ont reconnu un des fugitifs, « le sieur CASTELLANA Sébastien, marchant ambulant, domicilié à Entracque (Italie) ». Ils ne les rattrapent pas, mais conservent leur chargement, qui se révèle contenir 144 chemises de coton d’un poids de 80 kg.

Le cas le plus intéressant est celui qui met aux prises la Douane avec le sieur BOIS dit Titello, de Belvédère. Le 9 octobre 1905, les préposés GIUGE et MATTEUDI de Roquebillière « se trouvaient en service d’observation au Mont Joya, extrême frontière », lorsqu’ils virent venir un troupeau de 10 bêtes à laine mené par deux individus, qui prirent la fuite quand ils virent les agents des Douanes. Le rapport précise que « dans la course, nos agents purent reconnaître le nommé BOIS… lequel, tout en se sauvant, leur déclare que le bétail qu’il venait de conduire appartenait au sieur ROBINI, boucher à Roquebillière ». Mais l’affaire devient plus étonnante encore quand on apprend qu’il n’est pas connu comme contrebandier, et que la veille, il « était allé prévenir le brigadier à Roquebillière … et lui donnait à entendre qu’un troupeau allait être introduit le lendemain par … les sentiers de Férisson et Nautès pour aboutir au vallon Vigne ». Cependant, la perspicacité du brigadier « qui avait conçu des doutes sur la véracité des dires de cet individu », l’amena à prendre les dispositions qui menèrent à la saisie.

Ces fraudes répétées de la part de quelques individus amène les douaniers à bien connaître certains de ces fraudeurs, comme le facteur de Mollière ou Louis BAILE, ce boucher à Saint-Martin-Vésubie, qui, selon un rapport des service de 1903, « proteste ‘comme d’habitude’ », ce qui montre qu’il est coutumier du fait. Saisi de 10 de ses brebis par le brigadier FERRIER et le préposé MARTIN de la brigade de Roquebillière, pour défaut de passavant en 1903, notre boucher sévit une nouvelle fois en 1910, alors que son berger, Baptiste CORNIGLION, de Roquebillière, est arrêté avec un taureau lui appartenant. D’autres semblent échapper un temps à la surveillance des Douanes, comme le sieur CANAVESE, négociant à Saint-Étienne de Tinée, arrêté, en 1920, pour défaut de titre de circulation de sa mule, pour lequel le capitaine préconise « de sévir contre le délinquant », car celui-ci « quoique n'ayant jamais été l'objet de poursuites de la part de la Douane, n'en est pas moins suspect au service qui le surveille étroitement, le soupçonnant de se livrer au trafic du bétail… ».

D’autres cas sont indicatifs des rapports de défiance existant entre les populations et les fonctionnaires des Douanes. Le « 8 octobre 1901, à 9 h ½ du soir, les préposés DALMAS et RAYMOND ont conduit à Saint-Sauveur, où ils sont arrivés à 11 h 1/2, 7 vaches et 1 veau appartenant au sieur PIGAGLIO. En effet, quoique muni d'un passavant de circulation, ce dernier ne répondit que très vaguement aux questions des agents et disparu dans la nuit ». On comprend alors la suspicion des agents, qui conduisent les animaux à Saint-Sauveur. Pourtant, le lendemain « le sieur PIGAGLIO s'étant présenté au service, fut interrogé à diverses reprises par M. le Receveur. À la suite des explications fournies, ce dernier donna l'ordre de leur laisser continuer leur route ». Il ne peut s’agir ici que d’un malentendu, mais qui semble indicatif de relations parfois difficiles, empreintes de doutes quant à la sincérité des intentions de l’autre, de postures attentistes qui révèlent peut-être parfois de l’incompréhension. Toujours est-il que l’Administration sait faire preuve de réserve.

Par exemple, le 6 octobre 1919, le sous-brigadier BLAVE et le préposé MARTIN, en service au Pont de Paule, interpellent Joseph SAVIELLO, négociant en bestiaux à Vence, conduisant 2 mules et un âne qu’il avait achetés à la foire de Saint-Étienne et qu’il destinait aux abattoirs de Nice et pour lesquels il ne possédait pas de bon de circulation. Celui déclare tout simplement « ne pas ignorer les formalités à remplir pour la circulation du bétail dans la zone extérieure mais n'avoir pas songé à se mettre en règle ». L’affaire se conclut au bureau des Douanes de Saint-Sauveur, où le Receveur Général décide « devant la bonne foi du contrevenant et l'attitude correcte de celui-ci à l'égard du service, de terminer l'affaire par une transaction de 50 francs… [d’autant plus que] le sieur SAVIELLO est inconnu du service ».

Ces quelques exemples mettent en évidence les échanges complexes qui existent entre les douaniers et la population locale, un jeu d’indications où la psychologie et le flair ne sont pas absents. Actes isolés ou réguliers, leurs auteurs restent rarement méconnus de l’Administration des Douanes.

Malgré l’installation d’un réseau de postes de Douanes, une présence humaine qui contrôle la circulation des biens et des personnes, la frontière ne rompt pas les relations établies de longue date entre les populations du Haut Pays et celles qui se trouvent désormais en Italie. La frontière n’est donc pas une ligne de rupture franche, ne serait-ce que parce que des relations sociales, voir familiales, persistent de parts et d’autres de la frontière. Rappelons que dans les années 1900, ¼ de la population des Alpes-Maritimes est issu de l’immigration italienne. La fraude n’est finalement qu’une traduction visible de ces relations transfrontalières qui se maintiennent après 1860 .

Les spécificités de la douane dans le Haut Pays

Les franchises de la Roya
Bien que Tende et La Brigue votèrent à une grande majorité leur rattachement à la France en 1860, ces deux communes restèrent sous domination italienne. Officiellement, il s’agissait de conserver les terrains de chasse du roi Victor-Emmanuel II. Officieusement, CAVOUR s’y était opposé pour des raisons stratégiques. L’Italie conservait ainsi la « mainmise sur les pentes en deçà de la crête des Alpes » . Or, ce tracé ignorait les réalités locales. En effet, en raison des conditions topographiques, les habitants de la Roya s’approvisionnaient pour leur alimentation, en Italie. « La route du col de Tende, seul lien direct avec le Piémont, est une route tortueuse et souvent impraticable à cause de la neige et des avalanches » . L’établissement de la nouvelle frontière les coupait donc de leur principale source d’approvisionnement au sud. C’est donc en « compensation d’une situation arbitraire que furent créées les franchises douanières dont bénéficièrent les habitants de La Brigue et de Tende ».
L’article 3 de la convention de délimitation du 7 mars 1861 prévoit que les frontaliers français ou italiens, propriétaires d’exploitations au-delà des frontières, auraient la liberté d’en extraire les denrées récoltées et de leur faire passer la frontière sans avoir à acquitter des droits de douane, ni à la sortie ni à l’entrée. Les produits (bois, lait, beurre, fromage, laine et engrais) entrant dans le Comté de Nice et provenant des territoires piémontais compris entre la France et la crête des Alpes passeraient en France, librement, sans aucun droit de douane . Pour bénéficier de ces franchises, les personnes concernées devaient déclarer préalablement au bureau de douane « l’étendue, la valeur, le genre de culture des terres et le nombre de têtes de bétail » . Leur possession devait être justifiée par le dépôt au même bureau de douane des titres de propriété.
Le contrôle de ces privilèges représente une part prépondérante de l’activité des douaniers du bureau de Fontan. Jusqu’en 1918, l’utilisation de ces franchises reste relativement réduite selon Marc Ortolani. Elles concernent quelques produits en quantité médiocre et une faible partie de la population. Or, dans les années 1920, la population prend conscience de l’intérêt de ces franchises et leurs usages s’étendent à l’excès. Les abus se multiplient et ce régime de franchises devient le support à un trafic relativement important de denrées alimentaires, notamment de fruits et de légumes frais.

C’est ce qu’évoque l’affaire du sieur CASSIO Jean-Baptiste, charretier à Tende en 1910. Le 26 janvier, ce monsieur déposait au bureau de douane de Fontan une déclaration d’importation pour la consommation de 94 colis de fruits frais de table (pommes), pesant au total 3 310 kg, présentés comme originaires de Tende et de Briga, c’est-à-dire ayant droits à la franchise en vertu de la convention franco-sarde du 7 mars 1861. Procédant à une vérification, le service remarqua que certaines étiquettes portaient l’indication « LERDA Maurizio, negoziante, frutta, Val Grana » ou celle de « ALLADIO Pietro Busca », deux localités voisines de Coni. D’autres étiquettes avaient été découpées dans leur partie supérieure, dans le but évident de cacher à la douane l’origine réelle des produits . Coïncidence, le même jour, au même bureau, un monsieur PASSERON, gendre de M. CASSIO, avait un chargement de pommes à présenter dans les mêmes conditions, c’est-à-dire dont les étiquettes fixées aux colis avaient été également coupées dans leur partie supérieure. Les marchandises faussement déclarées furent donc saisies et les contrevenants soumis à une amende de 380 frs.
Toujours en ce qui concerne les pommes, la même année, M. GIUSTO Filippo, charretier à Tende, dépose à la douane de Fontan une déclaration de mise à la consommation pour 105 colis de fruits frais de table, soit 3 940 kg présentés comme originaires de la commune de Briga. Procédant à la vérification, le service remarqua que les étiquettes apposées sur les colis avaient été coupées sur un coin, celui où d’ordinaire est mentionnée la localité d’expédition. Or, ils découvrirent une étiquette complète, ainsi qu’un des coins découpé où figurait la mention « Cuneo ». Présenté comme longtemps suspect, les agissements de GIUSTO ne trompèrent pas les douaniers. Celui-ci prétendit en effet que « dans l’intention de lui nuire, quelqu’un avait jeté sur ses charrettes l’étiquette et le morceau d’étiquette compromettante ». Les marchandises ont été confisquées. Après être passé devant le Juge de Paix du canton de Breil, elles lui furent remises après acquittement d’une somme de 300 frs.
L’Administration souligne qu’« à l’abri des franchises concédées aux propriétaires de Tende et de La Brigue, une fraude importante se commet. Des quantités considérables de pommes et de poires du Piémont sont annuellement introduites en France comme de provenance des territoires privilégiés. 1/10e de ces quantités sont effectivement produites à Tende et La Brigue. Ces dérives ne sont pas sans créer des tensions entre la France et l’Italie. C’est ce qui se produit au sujet d’un trafic de fromage qui a pour support ces mêmes franchises. En avril 1918, le Directeur des Douanes de Nice reçoit une réclamation du Ministère des Finances italien qui se plaint des abus dans l’emploi des fromages destinés aux populations de Breil, Saorge et Fontan, et pour lesquelles le gouvernement italien a accordé des facilités d’exportation. Une partie du fromage aurait été revendu sur le littoral. Selon la Douane française, rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit de ce même fromage italien, mais c’est probable, car « l’opération était trop fructueuse en raison de l’écart de prix à Coni et sur notre littoral pour ne pas tenter quelques spéculateurs sans scrupules » . 12 993 kg de fromage avaient en effet été importés par le bureau de Fontan entre le 7 juillet 1917 et le 27 février 1918. 6 899 kg de fromage auraient, entre ces deux dates, transité de Breil à Garavan. D’après la Direction des Douanes, qui précise que le service n’est pas chargé de surveiller la répartition et l’emploi des fromages, ils ont aussi bien pu être dirigés sur le littoral par la route nationale qui passe à Sospel et qui n’est pas surveillée par la douane. D’après le gouvernement italien, soit le contingent de fromage italien admis à l’exportation est trop élevé, soit il est objet de spéculation. Toujours est-il que l’administration royale des Finances demande aux autorités compétentes françaises de prendre les dispositions nécessaires sans quoi l’Italie se verrait dans l’obligation de mettre fin à la concession de franchises.

Des mesures de service adaptées aux caractéristiques locales
Dans le Haut Pays, les contraintes du milieu montagnard - rigueur du climat, humidité et terrain accidenté - imposent au service de la Douane des mesures d’adaptation propres à cette zone.
Afin de répondre aux nécessités du service, les ordres de l’officier peuvent obtenir quelques aménagements à la rigidité habituelle de l’ordonnance. Le cas est évident, le 6 janvier 1866, quand le lieutenant de Saint-Sauveur, dont la mesure est approuvée 15 jours plus tard par son capitaine, propose qu’en « raison de la rigueur de la saison, la surveillance de planton pourra être partagée entre deux hommes dont l’un fera le 1er quart jusqu’à midi, et l’autre pendant l’après-midi jusqu’à 6 h du soir, sans que cette mesure puisse toutefois porter préjudice aux combinaisons du service extérieur ». Ou encore, entre fin juillet et début août 1903, à Roquebillière, le lieutenant propose un aménagement du service « tant que la Vésubie reste forte et par conséquent assez difficile à franchir en dehors des passerelles ». L’officier envoie ses agents « garder le Pas du Mulet d’une manière toute particulière, de nuit, sans que pourtant le service y soit en permanence » afin de ne pas alerter les passeurs potentiels. La stratégie s’affine, et plus précisément encore, « l'embuscade ne devra pas être placée au Pas du Mulet même, c'est-à-dire sur la route, point d'où les agents ne pourraient ni apercevoir ni entendre ceux qui franchiraient le vallon. Tout service gardant ce passage sera placé ou à la passerelle ou à 200 m en avant du Pas du Mulet. Il recommande instamment au Chef de poste de prescrire des contremarches pour se rendre sur ce point ; il y aura également lieu de commander des fausses positions qui pourraient se prendre entre le vallon du Cougne et la maison Lévis ». Ces informations, au-delà du simple fait anecdotique, démontrent une bonne connaissance du terrain et la réflexion qui précède à toute mission extérieure.

Le fonctionnement du service dans le Haut Pays est perturbé par la dureté du climat l’hiver. C’est ce qui fait dire au capitaine VARICHON, le 12 mai 1894, que parce que « les hommes sont ménagés en hiver, [ils] devront avoir à cœur de se montrer irréprochables, surtout pendant la belle saison ». Les agents doivent, en effet, de temps à autre suspendre le service à cause du froid, ce qui leur donne une certaine tranquillité durant la période hivernale. En janvier 1924, à Fontan, l’Inspecteur qui fait une apparition sur le terrain, sermonne deux préposés, AUGIER et CASTIEL, qui s’étaient réfugiés autour d’un feu dans une grange en ruine au lieu d’être en observation à leur poste, de 9 h à 13 h 30 au lieu-dit « Granges Lapulée ». Néanmoins, l’Inspecteur souligne le manque de discernement du Chef de Poste qui a prescrit un stationnement de 4 h 30 sur un même point, sans couper cet intervalle par une ou deux circulations. Or, l’hiver est rigoureux sur les hauteurs de la rive gauche de la Roya, couverte de neige glacée.

Le 12 mai 1894, le sous-lieutenant COMMANT transmet un rapport concernant le brigadier ZICAVO et son préposé GLACEE. Alors qu’il se trouvait « ce matin à 10 h ½ au point de conférence des chefs de postes de Saint-Sauveur et Isola, [il les] a vu arriver … en tenue, revêtus de leur pèlerine et munis chacun d’un parapluie. Sur l’observation faite à ZICAVO, ce dernier a répondu que [le capitaine avait] autorisé le port du parapluie et que d’ailleurs l’usage en était admis dans la Direction » . Le 18 mai, le Capitaine répond qu’effectivement, « l’usage du parapluie en service existe depuis je ne sais quelle époque » mais qu’il n’a jamais eu à autoriser son usage. Il reconnaît toutefois que « dans ce pays il y a des excès de mauvais temps où les hommes peuvent ne plus avoir un vêtement sec à se mettre sur le dos ». Transmis à l’Inspecteur, celui-ci pense qu’il « s’allie mal avec la tenue mais en présence des explications fournies par le Capitaine on pourrait jusqu’à un certain point en autoriser l’usage en cas de mauvais temps persistant ». Le Directeur tranche finalement, le 15 juin, en rappelant que « le règlement veut que les Douaniers en uniforme ne portent pas de parapluie. Mais [que] toute règle souffre des exceptions et … des tolérances peuvent être admises … [sauf]dans l’intérieur des villes et villages ».

Être douanier, une activité à risques
Être douanier dans le Haut Pays Niçois est une activité à risques. Les registres des événements regorgent de mentions s’y rapportant. En effet, la rigueur du climat, le changement rapide du temps et la dangerosité des sentiers rendent difficiles, voir extrêmes, les conditions d’exercice en montagne.
Les refroidissements sont fréquents. Il arrive qu’un agent soit « pris de puissants renvois suivis d'un point au côté gauche » comme c’est le cas le 30 janvier 1900 pour le sous-brigadier Joseph Ferdinand BOETTI de la brigade de Saint-Sauveur, alors qu’il était en service, « parti… à 2 h du matin, et [s’être] rendus par une marche très lente au lieu dit les Saintes, où [il était] à 5 h du matin. Un vent frais soufflant sur cette hauteur y abaissant sensiblement la température… ». Ou comme le brigadier Jean Félicien SULPICE qui déclare : « je me suis senti pris de frissons et d'étourdissements, croyant que j'étais incapable de continuer mon service, me sentant d'ailleurs de plus en plus mal… » . Ces maux n’ont pour conséquence qu’un arrêt de service de quelques jours.

Il peut aussi s’agir de blessures plus ou moins graves, comme celle arrivée au préposé MARTIN, « en service d'embuscade au ‘Rocher de la Loutre’ [qui] s'est luxé la cheville du pied droit à 3 h 1/2… » en s’étant sans doute relevé trop brusquement et posé son pied en déséquilibre. Malgré cela, le service n’est pas interrompu, et « après avoir stationné à la cabane dite ‘du tunnel de Laghet’ jusqu'à 7 h du matin pour permettre au préposé MARTIN de prendre du repos, cette escouade est rentrée au poste à 8 h et le préposé MARTIN s'est … directement relaté malade pour prendre les mesures que réclamait son état » . Ou comme celle du sous-brigadier LANTIERI qui « a fait un faux pas et a ressenti immédiatement après une vive douleur au genou gauche… » . Le brigadier RIBOUET, lui, « a glissé en contrebas du sentier sur un terrain raviné et très accidenté. Dans sa chute d'une hauteur d'environ 2 m, il s'est contusionné sur différentes parties du corps et a ressenti une vive douleur à l'œil gauche dans lequel un peu de terre avait pénétré au cours de sa chute ». Enfin, plus anecdotique, le lumbago traumatique diagnostiqué par le docteur CIAMIN, le 10 février 1935 au sujet du préposé Paulin RICHIER de la brigade ambulante de Saint-Sauveur, alors en corvée d’entretien de la camionnette de service, qui « a ressenti, vers 10 h, une violente douleur à hauteur des reins, consécutive à un effort fait pour mettre le moteur en marche »… Plus grave, le 17 juin 1864, est le bris du mousqueton du préposé Joseph Charles Étienne GRAGLIA, de la brigade de ligne de Saint-Sauveur, « revenant d’exécuter un service de 27 h sur la gauche de la Penthière… chargé de ses carrois et de son sac-à-pied glissa et tomba au lieu dit l'Eminone, quartier rocailleux et extrêmement en pente, et que n'ayant pu éviter le choc violent que fit son arme contre les rochers, le bois de cette arme se brisa littéralement à la partie de l'encastrement de la platine ». L’accident n’est donc pas rare. Il survient aussi aux préposés Jean-Baptiste BELEOUD le 18 février 1870, et Joseph CIAIS le 12 juillet 1870, tous deux de Saint-Sauveur. Il est dû à la dangerosité des sentiers empruntés par les agents des Douanes dans des conditions climatiques souvent difficiles, à la fatigue engendrée par la longueur des services, et à l’encombrement de leur équipement.

Les accidents peuvent être parfois bien plus graves. Le 15 mars 1906, c’est le préposé Joseph BELOUD de Roquebillière qui explique que, « en embuscade aux « Plâtrières », [son] collègue FRANCO Eugène a par suite d’un faux pas, glissé au-dessous du sentier de ce nom, et frappé dans sa chute sur des cailloux. Il a aussitôt ressenti de fortes douleurs à la tête, mais a pu néanmoins continuer son service jusqu’à 6 h matin, heure à laquelle je l’ai conduit chez lui où il a dû s’aliter, se plaignant de douleurs internes. Les blessures ont été constatées par M. le docteur MATTEO, médecin spécial des Douanes... FRANCO se trouvant dans un état comateux [et] n’a pu signer avec moi ». Sur quoi intervient le docteur MATTEO de Roquebillière qui constate que le préposé est atteint « de commotion cérébrale consécutive à une chute faite dans la soirée du 14 mars, alors qu’il était de service de nuit. Il déclare en outre qu’une congestion cérébrale avec délires prononcés a compliqué gravement la première affectation… et ajoute qu’un congé de 30 jours est nécessaire au dit préposé pour soigner la maladie et ce avec réserve de pronostic ». Nous ne connaissons pas le devenir de cet agent.

Quant à l’événement du 25 novembre 1894, il est tragique. Laissons le lieutenant ROUSSE, de Saint-Sauveur le relater : « Une catastrophe terrible vient de se produire dans la Capitainerie d’Isola. Trois agents de la brigade de Saint-Sauveur, les préposés CIAUDO, DALMAS et GRAC, en service à l’extrême frontière, ont été assaillis par une violente tourmente de neige. Après une lutte dont on ignore encore les affreuses péripéties, contre les éléments déchaînés, DALMAS et GRAC purent rejoindre leur résidence où ils reçurent les soins que nécessitait leur état. Mais le malheureux CIAUDO a succombé et on a retrouvé son cadavre au fond d’un ravin mesurant plus de 300 mètres de profondeur ». Le drame s’est joué en pleine tempête de neige, arrivée de manière inattendue d’après le procès verbal d’accident produit par les deux survivants :

« Nous nous sommes rendus à Lenton, pour y exercer une surveillance jusqu’à 5 h du matin du 24 novembre. Pendant l’intervalle, rien ne fit pressentir le mauvais temps, bien que le brouillard enveloppa les montagnes et ne nous permit de quitter notre point qu’au jour à 7 h du matin. La descente commença sans difficulté, mais à notre arrivée au plateau des Perdrix, entre 8 et 9 h, nous fumes enveloppés par la tourmente et des bourrasques de neige d’une intensité effrayante. Pour offrir moins de prise à la violence du vent et lui présenter une plus grande résistance, notre camarade CIAUDO nous aida à dégrafer nos manteaux, nos mains étant engourdies par le froid, puis nous nous saisîmes par le bras pour tenter d’échapper à l’ouragan. Une nouvelle bourrasque d’une violence inouïe nous sépara et chacun de nous fut précipité et roulé dans la montagne sans se rendre exactement compte du trajet parcouru. Nous DALMAS et GRAC étant meurtris par les chutes, les mains gelées et les sens paralysés par le froid, sommes arrivés à Rimplas à peu près au même moment et ce n’est qu’après un certain temps et à la suite des soins reçus dans un débit, que nous avons pu nous entretenir de ce triste accident. D’après nous, notre camarade CIAUDO avait dû subir le même sort et prendre une direction opposée pour rentrer à la résidence ». Le brigadier Jean GILLI et les préposés Étienne GLACEE et Ferdinand BOETTI « inquiets de ne pas voir rentrer à 10 h du matin le 24 novembre 1895 les trois hommes composant le détachement et soupçonnant que la tourmente qui régnait depuis 8 h du matin la cause de ce retard, [sont] partis immédiatement à leur recherche. Arrivés au Cadran solaire, nous avons rencontré GRAC et DALMAS ; ils avaient les mains gelées et DALMAS portait des écorchures au menton ; ils n’ont pu nous renseigner sur leur camarade CIAUDO, qu’ils croyaient arrivé à Saint-Sauveur. Mis au courant de ce qui s’était passé, nous avons conduit les malades chez eux où les premiers soins leur ont été donnés et moi, Brigadier, me suis empressé de télégraphier au Docteur des Brigades, pour réclamer sa présence. Les recherches que j’ai prescrites aussitôt n’ont amené la découverte du cadavre de CIAUDO que le 25 à 9 h du matin ».
Informé par télégraphe de cet accident, le Directeur Général répond immédiatement « avec émotion … déplorant particulièrement la mort du préposé CIAUDO ». Il demande que soit « donné aux blessés tous les soins possibles » et indique que l’Administration prendra à sa charge tous les frais et notamment ceux des obsèques de CIAUDO.

Cet événement terrible met en évidence toute la dangerosité du métier de douanier dans les montagnes. Il nous permet de préciser également les relations de proximité professionnelle et les solidarités qui unissent les agents sur le terrain.

Des officiers aussi peuvent être victimes d’accidents. C’est le cas du lieutenant COTARD, en poste à Fontan, qui, le 29 septembre 1921, fait une chute de bicyclette « au retour d’une tournée à la brigade de Brouis ». Le rapport de l’Inspecteur sédentaire CAZALY précise que, « bien qu’ayant subi une grave commotion, cet officier a été assez vite guéri » .
Le 20 février 1927, le capitaine Louis LANDO, de la brigade de Saint-Sauveur, qui se rendait en motocyclette au Pont de Paule pour vérifier le préposé LUTHEN, chute. L’accident survient sur le chemin du retour, « à 14 h 45 au lieu dit ‘Le Pont menacé’, la roue avant de la motocyclette a dérapé à un virage brusque et est allée buter contre le garde boue d’un camion automobile qui montait vers Isola ». Le capitaine précise : « Le choc m’a renversé violemment sur le sol où je me suis sérieusement contusionné la jambe droite ainsi que diverses parties du corps. La motocyclette a roulé sous les roues du camion, elle a été complètement abîmée. Mes blessures me faisaient souffrir atrocement, j’ai dû rentrer à Saint-Sauveur en camion ». Comme chaque déclaration le nécessite, c’est le médecin communal, assermenté devant la Douane, qui procède à la visite et le cas échéant, dresse le certificat médical nécessaire à l’obtention d’un arrêt. Le docteur CIAMIN « certifie avoir examiné … M. LANDO Louis … et avoir observé de la contusion par chute de la hanche droite avec lésion articulaire probable, l’adduction, la flexion et l’extension de la cuisse sur le bassin sont permis. L’adduction de la cuisse est limitée et douloureuse, on note également quelques plaies superficielles au niveau du genou droit, à la main droite, à la main gauche et à la lèvre supérieure. Le blessé doit être mis en observation à cause des complications possibles. La durée d’incapacité sera de toutes façons d’au moins 15 jours… ». Et de confirmer que « cet accident a pour cause unique, directe et certaine la chute de motocyclette faite par cet officier aujourd’hui ». Pour clôturer la procédure, le capitaine avait fait témoigner les préposé Félix LUTHEN et le brigadier Victor RIBOUET de Saint-Sauveur, avant que le maire de la commune, E. MILLO, ne corrobore les faits.

Il reste à traiter des violences, souvent mises en évidence par l’imagerie d’Épinal concernant les Douanes. Elle n’est pas absente, mais ne concerne pas véritablement les cas retrouvés pour le Haut Pays Niçois sur la période qui nous intéresse. Seules peuvent être relatées quelques poursuites, le plus souvent infructueuses, de contrevenants qui préfèrent la fuite à l’affrontement. Ils sont aidés en cela par la nature du terrain et le plus souvent par l’activité nocturne qu’ils pratiquent. Il faut rappeler aussi que les produits qu’ils tentent de passer en fraude à travers la frontière, du bétail, du tabac et des vêtements, ne nécessitent pas forcément l’emploi de la force pour en préserver le gain…
Par contre, une affaire d’une gravité certaine concerne la brigade de Garavan-ambulante, dans la nuit du 24 au 25 janvier 1922. Le préposé RICHERME est blessé par balles par des individus qui ont attaqué le train n° 7000 parti de Vintimille. Celui-ci reçoit la médaille douanière pour « la belle conduite … au cours d’une lutte soutenue avec des contrebandiers… qui lui tiraient des coups de revolver ». Il reçu d’ailleurs trois balles, une à la tête, une au ventre et une dernière au côté gauche, et malgré cela, « a désarmé l’un de ses adversaires ». Son collègue DAVER reçoit en cette occasion une mention honorable pour « la belle conduite au cours de la lutte de vive force … par son énergie et son courage a sauvé la vie à un de ses camarades au péril de la sienne propre » .

La vie quotidienne des douaniers n’est pas de tout repos. Ils pratiquent des activités variées, physiques, parfois dangereuses, qui nécessitent l’entraînement régulier des randonneurs, et une capacité de résistance importante pour subir les longues périodes d’embuscades. Si la chaise et le sac de couchage fourré de peau de mouton à l’intérieur sont de règle, si la mission permet que l’un des deux agents puisse dormir durant la veille de l’autre, les embuscades ont lieu par tout temps, à la belle étoile. Des inspections surprises régulières, « les apparitions » menées par les officiers maintiennent l’attention des agents. Les mesures de répression concernant les manquements au service sont relativement peu nombreuses. Nous pouvons ainsi affirmer que la vigilance des cadres de la Douane porte ses fruits, et entretient une permanence du service sans véritables défaillances. C’est cette activité constante qui permet à la Douane de s’imposer progressivement dans les esprits.

Des activités inhabituelles : le secours aux populations
La présence constante des agents de la douane sur le terrain les prédispose aux sauvetages. C’est le cas, le 19 octobre 1865, quand le sous-brigadier FUNEL et les préposés MASSA, PASTOR et BELEOUD de la brigade de Saint-Sauveur se portent au secours de Jean-Baptiste MARTIN dont ils avaient entendu les cris de détresse. Il venait de tomber au fond d’un ravin de 80 mètres de profondeur, à moins d’½ km du village. Le rapport du lieutenant de Saint-Sauveur explique qu’il fut « retiré tout meurtri et sans connaissance du fond du ravin où il aurait infailliblement perdu la vie sans leur assistance ». Le Directeur Régional de Nice adresse sa pleine satisfaction pour cet « acte d’humanité » réalisé au profit de la population locale, sans doute à même de rehausser le prestige de ce nouveau corps dans le village.

En octobre 1868, c’est le douanier GRAC, de Saint-Sauveur, en poste à Saint-Roch, qui s’aperçoit qu’un incendie s’est déclaré dans le village de Roure. Il prévient son lieutenant, qui mobilise immédiatement dix hommes et se porte vers le village en compagnie du garde général des forêts. Ils arrivent vers 10 h 45 à Roure pour constater que les villageois avaient circoncis le feu à la grange d’où il avait débuté. Néanmoins, cet élan citoyen a été chaleureusement accueilli par le maire et la population rouroise, qui remercient les agents de « l’empressement qu’ils avaient mis à se porter sur les lieux ».

Ailleurs, c’est la brigade de Roquebillière qui n’hésite pas à intervenir lors de pareils événements. Le 3 octobre 1925, le brigadier JAUNAUD, accompagné du préposé PELLAT, intervient pour éteindre un incendie qui s’est déclaré dans le village et organise les secours. Après 1 h ½ d’effort, ils se rendent maîtres du feu mais n’ont pu éviter le décès du propriétaire, un homme âgé qui a succombé aux émanations de fumée et n’a pu sortir de la fournaise. C’est pourtant grâce à l’action des agents des Douanes que l’incendie n’a pas pris de plus amples proportions. Le mois suivant, c’est toujours le même brigadier, accompagné cette fois du préposé ARDOIN, qui intervient pour circoncire le feu pris chez M. MALAUSSENA. Cette fois, seul le mobilier a été détruit.
Et que dire du comportement du préposé Marius GRAGLIA, que nous avons déjà évoqué pour expliquer la fermeture temporaire de la brigade de Roquebillière, lequel, victime du glissement de terrain de novembre 1926, s’est dévoué pour sécuriser ses concitoyens durant tout le temps qu’a duré l’évacuation après avoir mis sa famille en sûreté. Le Directeur Régional de Nice n’hésite d’ailleurs pas à lui accorder la Mention Honorable, ainsi que 3 numéros d’encouragement aux 9 agents des brigades de Roquebillière et de Belvédère, et 2 numéros aux 7 agents, venus à l’aide, depuis les brigades de Saint-Martin-Vésubie et de La Bollène-Vésubie. Le 28 juillet 1923, le préposé MINO, de la brigade de Saint-Étienne, a effectué le sauvetage d’une fillette tombée accidentellement dans l’Ardon, un torrent grossi par la fonte des neiges.

Pour conclure sur le rôle humanitaire des agents des Douanes en poste dans le Haut Pays, relevons ce cas de la recherche d’un avion accidenté en montagne entre le 24 février et le 4 mars 1939 aux confins de Beuil et Roubion. C’est sur l’alerte d’un paysan de Roure, qu’un détachement de douanier, dirigés par le capitaine en personne, suivi de gendarmes et de militaires, partit à sa recherche. Après plusieurs jours d’investigations infructueuses, c’est finalement un détachement de Chasseurs Alpins qui découvrit les débris de l’appareil. La Douane procéda à la vérification des restes du chargement, sans rien trouver d’illégal, et participa à la sécurisation et à la surveillance des lieux pendant « 30 h dans un froid glacial en haute montagne et sans aucun abri ». Il s’agissait d’un junker allemand revenant d’Espagne en direction de Berlin…

De nombreuses fois, nous voyons la Douane intervenir comme force de sécurité civile, au plus près des populations qu’elle contribue à rassurer par sa présence, ne se limitant pas ainsi à la surveillance de la frontière.

La Douane, un rouage de l’intégration à la France

Le douanier bon républicain
En tant que fonctionnaire, le douanier est un représentant de l’État. Il se doit d’être le reflet du régime qu’il représente et cette préoccupation est d’autant plus importante dans le Comté de Nice qu’il s’agit d’un territoire nouvellement intégré à la France. Chaque douanier faisait donc l’objet d’une enquête sur ses opinions politiques et sur ses mœurs. Une enquête renouvelée à chaque mutation, à chaque demande d’avancement de l’agent. Souvent assurée par le commissaire spécial du lieu où l’agent exerce ou par les autorités locales (municipales), les résultats de l’enquête sont transmis, par l’intermédiaire d’une fiche de renseignements, au Préfet. Nous n’avons qu’une information à ce sujet concernant la période du Second empire. Il s’agit d’un dénommé ROUX, sur lequel nous reviendrons, et qui est qualifié de « républicain avancé, dangereux ». Par contre, les dossiers du personnel des douanes couvrant la période de la IIIe République (1870-1940) sont éloquents. Ils font des douaniers de véritables « hussards bleus de la République ». Toutes les fiches de renseignements consultées font état d’agents qui ont de bonnes attitudes politiques. Ainsi, en 1882, le Receveur des Douanes d’Isola n’est-il pas considéré comme un républicain radical mais il « professe néanmoins des idées républicaines avancées ». L’agent FERRAS, en 1883, est, lui, catalogué « d’après son raisonnement » de républicain modéré. Pour Sébastien Roch FILIPPI, sous-lieutenant à Fontan en 1889, un douanier dont l’attitude politique est très correcte car il est « dévoué à la République », l’avenir dans la carrière semble radieux. JF GUILLEMIN, Receveur des Douanes à Saint-Martin-Vésubie en 1922, est qualifié de bon républicain. Quant à Albert BOULANGER, capitaine à Saint-Martin, jugé bon républicain, on lui prête ces propos : « guerre à la Monarchie et à l’Empire » .

L’attention portée à l’attitude politique des douaniers est beaucoup plus forte et systématique à l’aube de la IIIe République, c’est-à-dire dans les années 1880. C’est en effet une période où la jeune république cherche à s’affirmer après des débuts troublés. D’où l’exigence d’avoir des fonctionnaires anti-monarchistes car c’est aussi l’image de l’État français qu’ils véhiculent. Pour ce qui est de la réputation de l’administration française, un cas est à ce titre évocateur. C’est l’affaire du douanier ROUX qui a lieu en 1861. Entre les mois d’août et de novembre, pas moins de 15 courriers sont échangés entre le Commissaire Spécial de Police des Frontières, les sous-préfet et Préfet des Alpes-Maritimes, la préfecture des Basses-Alpes, le Directeur des Douanes de Nice et l’intéressé.

Tout débute le 22 août 1861, quand le commissaire spécial d’Isola fait part au sous-préfet de Puget-Théniers d’une remontrance qu’a adressée le Capitaine des Douanes ROUX à un brigadier de Gendarmerie par l’intermédiaire de son supérieur hiérarchique. Le décor est dressé quand le Commissaire qualifie le capitaine de « malhonnête, omnipotent… qui aurait bénéficié d’avantages spécifiques [la jouissance d’un jardin communal] en raison de ses accointances avec le maire », qu’il « mène des intrigues au sein de la commune pour déloger la Gendarmerie… qu’il est un personnage très influent qui manipule la municipalité », « qu’il a fait partir l’instituteur GIUDICELLI pour le remplacer par son frère » et est qualifié de « républicain avancé, dangereux » . On comprend, suite à cette longue énumération qu’il soit demandé une enquête sur son comportement.

Le sous-préfet n’hésite pas un seul instant, devant le portrait qui lui est dressé. Il « demande de le muter pour soustraire la municipalité d’une mauvaise influence. [Il s’agit aussi d’] éviter de montrer des conflits entre l’Administration [la Douane et la Gendarmerie - NDA] aux fonctionnaires d’un territoire nouvellement annexé… [car] il faut préserver l’image de l’Administration française ». Le Préfet fait de même trois jours plus tard et demande au Directeur des Douanes de Nice de procéder à sa mutation « étant donné l’influence qu’il a sur la commune d’Isola… [et] qu’il sème la division et le trouble… [Il] exige des gendarmes des marques de déférence même quand il est habillé en bourgeois ». Le portrait dressé en fait un véritable Pygmalion, une hydre étendant son pouvoir sur le village. L’analyse de ce dossier montre que le portrait est sans doute un peu exagéré…

Un premier indice est donné par le Directeur des Douanes. Le 19 septembre, après enquête, il impute « seulement un manque de tact et de prudence » à son capitaine, qu’il préconise, en accord avec le Préfet, « d’éloigner d’Isola » sans que « ce changement ait le caractère d’une disgrâce… ROUX gardant son statut et son traitement ». D’ailleurs, nous possédons un écrit du capitaine adressé au Préfet, qui rappelle qu’il est enfin « de retour dans son pays natal après un séjour dans les Pyrénées Orientales… et qu’il soutient son frère [l’instituteur] ». Ce n’est pourtant pas ce qui lui est reproché, mais plutôt ses rapports conflictuels avec la Gendarmerie.

Le 8 novembre 1861, le commissaire spécial informe de nouveau le sous-préfet de la présence du capitaine ROUX, qui « bien que nommé à Digne, continue à comploter avec le maire et le curé d’Isola… », et, cause aggravante, « la nuit ». On comprend en effet que notre officier a été muté à Digne, changement notifié le 19 septembre, mais qu’il n’est pas parti, et que sa présence constitue « un obstacle à la ‘pacification’ des esprits du village dont la population est divisée en deux camps ». Faisant preuve d’une impudence et d’une mauvaise foi flagrante, le capitaine ROUX affirme « qu’il n’était pas au courant du changement et qu’il s’en chargera dans les plus brefs délais ». Sur ce, le Directeur des Douanes fait état de ses propres difficultés à trouver un nouveau poste au capitaine sans y attribuer un caractère de disgrâce. Il est finalement muté à Bourg-Saint-Maurice, en Savoie, en qualité de capitaine de 3e classe.

Au-delà de l’opposition franche entre Douanes et Gendarmerie qui est évoquée comme prétexte essentiel à cette affaire, celle-ci met plus fortement en évidence un autre problème que l’Administration doit régler rapidement. Il s’agit de celui des accointances existant naturellement entre des agents issus du lieu et les populations locales. Plus encore quand il s’agit d’un officier, ces relations portent en germe une véritable rupture des équilibres de pouvoir au village. Cette implication politique est incompatible avec le devoir de réserve du fonctionnaire.

La discipline des brigades, objet d’une surveillance constante
La discipline des brigades est également l’objet d’une surveillance constante de la hiérarchie. Au début de la période qui nous intéresse, les mentions concernant les mœurs des agents sont multiples. Si la plupart des personnels sont qualifiés de bonne moralité, certains bénéficiant même d’un certain prestige dans les communes où ils exercent, il existe néanmoins quelques cas de mauvaises mœurs. En 1879, l’agent CHIESA ne se serait pas rendu aux prières publiques à l’occasion de la rentrée des Chambres. En 1883, le dénommé FERRAS s’affiche avec sa maîtresse dans Saint-Martin. Les réprimandes quant à l’ivresse manifeste des agents ne sont pas rares, comme ce préposé de Garavan, BARRA, à qui on impose un changement disciplinaire pour avoir quitté la résidence sans autorisation et qui avait été surpris en état d’ivresse manifeste sur les quais de la gare internationale de Vintimille où sa présence faisait scandale.

La vie à la brigade nécessite également la bonne tenue militaire des hommes. C’est ainsi que régulièrement, les officiers doivent inspecter la tenue des agents. C’est le cas à Saint-Sauveur, le 29 novembre 1869, le lieutenant certifiant « avoir passé en revue, sous les armes, les hommes composant la brigade ambulante. Leur tenue étant excellente, l'armement et l'équipement en très bon état d'entretien, [il a] exprimé toute sa satisfaction au brigadier GALIS » . Le 8 juillet 1870, les tensions extérieures s’aggravant, ordre est donné aux brigades de procéder au « maniements des armes … deux fois par semaine ». Les officiers sont vigilants à l’application des ces mesures d’ordre militaire. Le lieutenant Indépendant de Roquebillière constate d’ailleurs, le 23 mars 1903, « que l'instruction du tir n'a fait l'objet d'aucune des douze séances de théorie militaire qui se sont écoulées depuis le 1er janvier dernier ». Dans sa critique, l’officier va même jusqu’à se demander « si cette omission persistante de toucher à un sujet des plus utiles et des plus intéressants, n'aurait pas pour unique motif d'éviter aux agents qui assistent à ces séances d'y apporter les armes qui sont nécessaires pour ces exercices ». Et d’inviter « le brigadier à Roquebillière de prendre bonne note de ce rappel pour l'avenir et d'ici les prochains tirs à la cible de faire porter une fois sur deux, la théorie sur des articles relatifs à l'instruction du tir ». Deux mois plus tard, le 31 mai, le lieutenant Indépendant revient sur le sujet pour constater que « le brigadier de Roquebillière n'a pas tenu compte, pour le mois de mai courant, de l'instruction que j'ai transmise le 9 avril dernier par laquelle je faisais connaître que, par ordre de l'Inspecteur, les revues et conférences mensuelles des Chefs de poste devaient être comprises dans une séance d'une heure consacrée chaque semaine à la théorie ou l'exercice militaire, afin de ne pas imposer de trop nombreux dérangements au personnel ». Et de s’étonner que « le brigadier FERRIER qui a dirigé les séances de théorie des 18 et 25 ait attendu le 29 pour faire sa conférence et passer sa revue ». On comprend qu’il s’agit pour lui de garantir, malgré le service sur le terrain, l’existence d’un temps effectivement consacré à l’entraînement physique et militaire.
On retrouve là l’une des caractéristiques principales des Douanes, de pouvoir devenir rapidement une force militaire d’appoint. C’est d’ailleurs ce qui arriva lors de la Première guerre mondiale, les douaniers formant un bataillon particulier.

Cette discipline est assurée par les visites bimestrielles de l’Inspecteur Principal et par les « apparitions » d’officiers sur le terrain.
C’est le cas, le 15 mars 1922, lorsque celui-ci visite la brigade de Castellar. Il décrit comment il « s’est rendu sur le terrain, à 200 m à gauche du plateau des Vignes, maison jaune, où devait se trouver un observatoire de 13 à 17 h » . Mais, « n’ayant pas rencontré ce service malgré ses recherches sur le terrain et aux alentours de 16 h 30 à 16 h 50 », l’Inspecteur Principal demande « des explications aux deux agents qui ont exposé qu’ils avaient aperçu, vers 16 h, un individu descendant de la frontière par le sentier Borfiga à 150 m du point d’observation. Ils se sont portés à sa rencontre et l’ont d’ailleurs refoulé, ses papiers n’étant pas en règle ». Le sous-brigadier et son préposé ont alors choisi de « continuer leur observation sur le nouveau point en raison du peu de temps imparti … car la circulation devait reprendre peu après ». L’Inspecteur Principal finit par admettre ces explications, et, tout en adressant des observations aux agents pour ne pas être revenus au point initial assigné, ne porte pas plus préjudice à leur travail. Il résulte de ces observations que les services sont bien tenus, et ne donnent lieu qu’à de très faibles remarques de la hiérarchie.

Les choses vont autrement, au début de notre période, en ce qui concerne la discipline et la tenue des agents des brigades nouvellement installées. Dès les premiers mois, l’Administration veille au respect du règlement et n’hésite pas à rappeler régulièrement les principales règles de tenues qu’elle entend faire respecter. Ainsi, le 12 juin 1863, le Sous-Inspecteur reçoit l’ordre du Directeur de « renouveler la défense absolue faite aux préposés de fréquenter les cabarets », en s’engageant « à tenir sévèrement la main à ce que [cette directive] soit observée ». C’est le lieutenant REGNIER qui, le 15 juin, procède à sa lecture devant « la brigade réunie ».
Malgré la vigilance des officiers, le capitaine de Saint-Martin-Lantosque doit une nouvelle fois en renouveler l’ordre, le 29 mai 1869, car « des faits récents qui ont nécessité la punition de plusieurs préposés, donnent lieu de craindre que l’on ait mis en oubli, dans la division, l’interdiction faite aux agents de brigade, de fréquenter les cabarets… cette défense absolue [devra être] instamment observée, … les sous-officiers et préposés qu’ils doivent s’attendre à ce que toute infraction soit rigoureusement punie...
Et les chefs de poste ont obligation étroite de rendre compte, au moins verbalement, à leurs officiers et [au capitaine] dans le cours de sa tournée, de tout acte répréhensible intéressant dans le service sur la conduite prise de leurs subordonnés ».

Ou encore, quelques années plus tard, voit-on un jeune officier procéder avec zèle, et sans doute quelques sérieux a priori, contre son chef de brigade. C’est le sous-lieutenant COMMANT d’Isola qui transcrit le cas, le 28 avril 1894 : « J’ai l’honneur de vous informer que, traversant ce matin à 5 heures, le bourg de Saint-Sauveur, j’ai vu le préposé BOETTI sortir de chez lui avec armes et bagages et se promener sur la route. À la suite de plusieurs questions que je lui ai posées, il m’a répondu qu’il attendait son camarade GRAC pour partir en service, qu’ils avaient reçu l’ordre du brigadier la veille au soir et que par suite, ils n’avaient plus besoin de paraître au poste. GRAC survint et nos deux agents partirent ». Rien qui ne semble répréhensible, sinon que le temps écoulé entre l’ordre et sa mise en application semble trop long à l’officier, qui ne compte pas en rester là, et rappelle l’ordre de service qui prescrit de « veiller à ce que les préposés ne puissent communiquer avec d’autres personnes après qu’ils ont reçu l’ordre ». Rappelant qu’il a pu donner lecture de ce règlement « pendant cinq séances consécutives », et que malgré cela, le brigadier ZICAVO ne semblait pas en avoir tenu compte. Poursuivant son idée, le sous-lieutenant se rend au poste et y rencontre les deux agents de la mission précédente qui attendaient leur brigadier au repos chez lui « pour faire leur rapport ». Il fait alors appeler le brigadier, « lui remontre le règlement » et l’admoneste sérieusement : « De plus, je lui ai fait remarquer que GRAC et BOETTI, après avoir reçu leur ordre, pouvaient sans penser à mal, le faire connaître à leurs femmes en présence des enfants et que rien ne s’opposait à ce que le lendemain tout le village connut cet ordre ». Malgré les excuses de son subordonné, le sous-lieutenant, qui « lui a déjà pardonné beaucoup de peccadilles, sans parler de son habitude de rechigner lorsqu’il lui donne un ordre ou qu’il lui fait une observation », n’hésite pas à demander une punition pour le contrevenant…
Le Capitaine VARICHON, installé à Saint-Martin-Vésubie, procédant à sa tournée, le 6 mai, en profite pour interroger le brigadier ZICAVO, « qui a reconnu ses torts et promis que nous n’aurions plus rien à lui reprocher dans l’avenir ». Après transmission à l’Inspecteur LAUGIER, c’est le Directeur Régional de Nice, AMÉ qui prend la sanction attendue et inflige un numéro d’annotation au brigadier « qui devra être invité à mieux se rendre compte, à l’avenir, des obligations qui incombent à un chef de poste ». Mais finalement, cherchant visiblement à atténuer la sanction prise, efface la punition « par mesure exceptionnelle, à titre d’encouragement », le 13 août 1894, à la suite d’un acte réalisé par l’intéressé.

Les contre-exemples du douanier bon républicain
L’affaire du sous-brigadier VERANI , qui se déroule dans les années 1885-1886 est le contre-exemple du douanier modèle. Notons qu’il s’agit encore d’un douanier d’origine locale, natif de L’Escarène, et qui fut soldat dans l’armée italienne. L’agent en question est l’objet d’un intense échange de courrier entre la Municipalité de Fontan, le Commissaire Spécial de ce lieu, le Préfet et le Directeur des Douanes de Nice. Au total, 9 courriers se succèdent en 13 mois.

L’affaire commence avec les élections d’octobre 1885. Le sous-brigadier « en embuscade le 18 octobre au soir, au vallon Peraldo, a vu deux personnes » qui, dit-il « n’a pas reconnues et auxquelles il a demandé le résultat du scrutin du hameau de Berghe ». Il s’agit en fait de l’adjoint spécial de la commune pour ce hameau, Benoît BOTTONE, et du conseiller municipal Constantin GIOANNI. Répondant aux sollicitations du douanier, les élus se font alors copieusement insulter « de brigands, de porcs… », les résultats du scrutin ne lui convenant visiblement pas. Une fois mis au courant et ulcéré par cette attitude, le maire de Fontan dresse un procès-verbal de contravention, en informe le Préfet et le transmet au Procureur de la République dès le lendemain. Le Préfet, de son côté, demande dès le 21 octobre au Directeur des Douanes de diligenter une enquête à ce sujet. Il en adresse les résultats au Préfet le 4 novembre. Pour sa défense, VERANI oppose qu’il « ignorait absolument qu’il se trouvait en présence de conseillers municipaux ». Le Directeur en conclut pourtant qu’il s’agit là d’un « tort grave de les injurier », et prononce une mesure disciplinaire à son encontre. Il est vrai que les Douanes cherchent alors, dans les années 1880, à faire de la Douane un modèle « de politesse… [cette] administration [étant] la première que le voyageur rencontre à nos frontières » . Le sous-brigadier se verra « assigné un poste isolé dès qu’une vacance ou une occasion se présentera ». Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Le Préfet, responsable de son administration, refuse de croire à la version de VERANI, et demande « pour faire respecter le principe de l’autorité municipale », que l’assignation « constitue pour lui une disgrâce ». Et pourtant, en août 1886, cette mutation n’a toujours pas été réalisée.

Le 11 de ce même mois, le commissaire spécial de Police de la commune de Fontan écrit au Préfet pour signaler « la présence de deux employés des Douanes de Fontan parmi les personnes qui accompagnaient le 1er août courant MM. BORRIGLIONE et ROUVIER dans leur tournée électorale ». L’un d’eux est bien évidemment le sous-brigadier VERANI, « en tenue et affrontait de travers tout le monde ». Le second est le receveur des Douanes BESSON, également de Fontan. Mais, précise le Commissaire, cela « n’a étonné personne. Ce fonctionnaire est le gendre du sieur BONFANTE, un adjoint de cette commune et l’on sait combien ce dernier est dévoué à ce député [BORRIGLIONE] ». Cette attitude est, selon lui, sans équivoque, puisque « l’exemple qu’il a donné est considéré comme un esprit de propagande … faite sur la brigade des Douaniers de Fontan et pouvant avoir son action sur celles de Saorge et de Breil ». Il y a à l’évidence contravention avec les règlements édictés les années précédentes, qui « interdit à tout agent d’user de son influence au profit de qui que ce soit… qui ne peuvent que compromettre, dans les luttes et les polémiques locales, l’autorité dont ils ont besoin pour accomplir leur mission » . On apprend d’ailleurs que notre sous-brigadier « aux élections du 4 octobre [de l’an dernier] insultait les marchands de journaux de l’opposition, c’est-à-dire ceux qui combattaient M. BORRIGLIONE ». On conviendra, avec Jacques BASSO , que cet homme politique « exerçait dans la ville et plus particulièrement à l’égard de la population d’origine niçoise et italienne une séduction politique, séduction qui est fondée autant sur des aspects psychologiques que sur la notion de service rendu »…

N’imaginons pourtant pas que l’implication d’agent des Douanes dans les affrontements politiques locaux soit le seul fait de personnels originaires du lieu. À la fin de notre période, nous avons à connaître un fait encore plus grave de manquement à l’obligation de neutralité politique des agents. L’affaire du lieutenant DIGNAC , affecté à Fontan, qui se conclut le 23 août 1929 par une affectation « sur sa demande, à Fauillac (Direction de Bordeaux) » semble être le point d’orgue de ce genre de comportement. Sans trop entrer dans les détails, la Municipalité de cette localité proteste énergiquement contre l’implication directe de l’officier auprès des opposants politiques du maire. Il l’accuse d’assister aux réunions politiques non pas en tant que public mais comme participant, traitant de « communistes… ceux qui n’étaient pas de son choix », tentant « d’imposer à ses subordonnés et de leur tracer leur ligne de conduite au sujet du vote à émettre », et, condition aggravante, « d’être dans un état spécial de surexcitation et … d’ébriété ». L’affaire se termine avec la réélection de l’équipe du Maire sortant qui fête sa victoire par un défilé dans la rue principale du village, drapeau et musique en tête. C’est en passant sous le domicile de la famille DIGNAC que « Madame DIGNAC et sa fille, toujours à la fenêtre, riaient et se moquaient du cortège, et au comble de la colère, … se laissa aller à un geste vraiment désobligeant et peu courtois : elle cracha sur la foule »… Le déplacement de l’agent, émotionnellement impliqué dans la vie politique locale, devient alors une question de sécurité publique, la « jeunesse Fontanaise [allant jusqu’à] traiter ce dernier de canaille, d’ivrogne, de belotteur, accusé de passer son temps dans les cafés au lieu de faire son service ».

Revenons à « l’affaire VERANI ». En fait, le Commissaire tente d’analyser une telle attitude, et propose d’y voir le résultat d’une personne aigrie, qui « a conservé pour l’Italie un profond attachement [ce qu’il ne blâme d’ailleurs pas]… [Il] prenait prétexte pour critiquer tout ce qui appartient de près ou de loin à notre chère France. Nos institutions, nos hommes d’Etat, notre armée et notre administration, tout est, pour lui, mis en comparaison avec ce qui existe de l’autre côté des Alpes et l’on peut être certain que ce n’est pas à notre avantage. Notre armée a surtout le don de l’exaspérer, et à le voir et à l’entendre, lorsque nous avons le bonheur de posséder pendant quelques jours nos chasseurs ou nos artilleurs, on comprend combien cet homme nous hait. Il a du reste déclaré plusieurs fois qu’il regrettait d’être devenu Français ». Le sous-brigadier VERANI est l’homme d’un passé révolu qui regrette son choix. Son comportement est sans doute en grande partie lié à un rejet inconscient de sa nouvelle situation dans la nation française. Il y lui attribue alors plus aisément ses propres échecs et déconvenues. Ce n’est qu’au terme de sa carrière qu’apparaissent ces crispations, exacerbées par son engagement politique auprès de dirigeants charismatiques tel qu’Alfred BORRIGLIONE.

Revenons au problème des liens qui peuvent se nouer entre populations locales et les fonctionnaires qui servent sur ce territoire. L’Administration pense qu’ils ne peuvent être que préjudiciables à la mission de service public demandé. Le Commissaire l’énonce clairement : « On se demande ici comment il se fait que le sieur BESSON exerce ses fonctions à Fontan, alors que les règlements de la Douane devraient, à cause de son mariage, le lui interdire ? ». Le cas n’est pas unique, et nous connaissons déjà les cas du brigadier Jean-Baptiste FUGIER, natif de La Tour du Pin, qui épouse, en 1863, Séraphine LAUGERI de Saint-Martin-Lantosque ; et toujours dans le même village, c’est au tour du capitaine des Douanes Alexandre ANNOI, natif de Mouans, qui épouse, le 26 juillet 1867, Alexandrine, la fille du Comte Hilarion CAGNOLI, major en retraite et futur maire. Notre officier a alors 43 ans, ce qui peut expliquer son désir de convoler « rapidement » tout en assurant une certaine homogamie à son union.

Le dernier acte de « l’affaire VERANI » a lieu trois mois plus tard. Le 16 novembre, il s’en prend aux Gendarmes du poste sanitaire à l’entrée septentrionale de Fontan. Il faut dire qu’il est l’objet cette fois d’un malheureux concours de circonstances. Tout débute avec « l’arrivée des voitures [de la ligne Coni-Nice, qui] a lieu assez irrégulièrement et avec des variations d’une heure et plus… étant donné le mauvais état des routes en Italie » avec une heure d’avance. Quand les gendarmes demandèrent aux voyageurs de descendre pour vérifier leurs papiers, « le sous-brigadier VERANI s’y est opposé en leur disant qu’ils n’en avaient pas le droit, a fait remonter les voyageurs en voiture et a donné l’ordre au conducteur de partir et de se rendre au bureau des Douanes situé à l’autre extrémité de la localité ». C’est l’intervention du Commissaire de Police qui fait stopper le conducteur et procéder aux vérifications requises.

Le commissaire rappelle « combien il est regrettable que de pareils conflits puissent avoir lieu surtout en présence du public », puis charge VERANI qui ne pouvait ignorer « les ordres donnés puisque le service sanitaire fonctionne depuis 5 mois ». Il affirme que l’altercation a été intentionnelle pour « faire échec à la Gendarmerie en empêchant l’accomplissement de son devoir ». L’attitude arrogante et provocatrice du douanier « suffirait amplement pour être édifié à cet égard »… passons sur les autres faits relevés par le Commissaire visiblement exaspéré.
Le 29 du même mois, après une nouvelle enquête de l’Inspection, VERANI obtient un congé de 60 jours « pour cause de maladie … sa mise à la retraite ne pouvant tarder d’être prononcée ». Cette dernière mesure met fin aux querelles qui ont agité Fontan durant toute une année.

Le cas du sous-brigadier VERANI est en fait anecdotique. Les cas similaires relevés ne représentent que 5 % du personnel connu. Il marque pourtant symboliquement la transition qu’il y eut entre les périodes Sarde et Française, et révèle certaines difficultés quant à l’intégration des personnels de l’ancien régime Sarde dans l’Administration française. Nous l’avons également constaté, la grande majorité des sous-officiers et officiers servant dans les montagnes du nouveau département des Alpes-Maritimes viennent d’autres régions françaises : Meurthe et Moselle, Calvados, Ain, Manche, Savoie elle-même rattachée à la France. Dès le début du XXe siècle, les nouvelles générations de fonctionnaires issus du territoire nouvellement français ne poseront plus ces problèmes.

Les cas présentés sont très minoritaires, sinon uniques dans les registres de la Préfecture. L’attitude des autorités est d’ailleurs significative de la confrontation avec ces cas d’école. Selon toute logique, le Préfet, saisi de ces affaires par les autorités locales (municipales et policières), en réfère à son Directeur des Douanes qui diligente une enquête. Notons que les cas présentés sont rapidement avérés. Les sanctions prononcées démontrent alors à la fois la volonté de la Douane de ne pas accabler, sinon même de « protéger » ses fonctionnaires tout en reconnaissant leurs torts, et ne sont d’une extrême sévérité que de la part de la Préfecture.

Punitions, récompenses et mutations, au rythme des activités
Cette surveillance constante a des conséquences importantes sur la carrière de nos douaniers. Chaque rapport du registre des événements fait état d’une demande de punition ou de récompense, selon la nature du fait relaté. Les différentes saisies opérées et relatées par les officiers des postes, lieutenants et capitaines, donnent lieu à une demande de numéros d’encouragement pour les sous-officiers et préposés à l’origine de l’opération. Une saisie de 10 bêtes à laine le 9 octobre 1905, une autre de 15 moutons le 14 septembre 1909, celle de 150 litres de vin le 15 avril 1910 ou encore quelques centaines de cigarettes le 28 juillet 1925 valent à leur auteur cette récompense. Deux numéros d’encouragements sont attribués pour la prise de 144 chemises en coton le 4 novembre 1910. Ils peuvent être également accordés pour tout autre acte dont la portée rejaillirait sur la brigade, comme l’intervention lors d’incendies ou de catastrophes.

Inversement, des numéros d’annotation peuvent être portés pour les manquements au règlement, comme c’est le cas du brigadier ZICAVO, déjà rencontré, pour avoir « contrevenu à un ordre écrit … afin qu’il se rendre compte… des obligations qui incombent à un chef de poste ». Ou encore pour négligence, comme la perte d’un certificat d’affectation spéciale, « qui représente une négligence grave et qui appelle une répression sévère ».

L’Inspecteur sédentaire en dresse le tableau annuel dans son rapport. Ainsi, en 1922, nous pouvons noter 4 avertissements concernant des sous-officiers et 51 attribués aux préposés, notant que bien que « plus nombreux qu’en 1921, ils ont sanctionné des fautes sans gravité caractérisée ». Les annotations concernent 1 sous-officier et 13 préposés. Pour les préposés, notons le défaut de surveillance reproché à l’agent MILLION de Fontan, à MASETTI de Sospel pour avoir préféré « se rendre à l’étranger pour boire » plutôt que d’escorter son lieutenant. Ailleurs, « pour avoir abandonné son camarade au cours d’un service d’escorte pour aller se distraire dans une localité voisine », « pour s’être mis dans un état complet d’ivresse et n’avoir ainsi pu prendre part au service d’embuscade pour lequel il était délégué », ou encore « pour avoir critiqué à tort la répartition du service et avoir eu une attitude incorrecte envers son chef de poste ». Au total, 7 affaires sur l’ensemble de l’année et pour la totalité du service des brigades. Bien peu de choses au final.
En ce qui concerne les récompenses, 55 encouragements sont proposés à des sous-officiers, et 217 aux préposés, soit 272 contre 328 l’année précédente. Un seul témoignage de satisfaction est attribué, au brigadier BOIVERT de La Bollène Vésubie, pour avoir saisi 33 bêtes à laine. Une seule mention honorable concerne le préposé DAVER dont nous avons déjà expliqué l’acte de courage. La médaille douanière est attribuée au blessé de la même affaire.

Récompenses et punitions permettent d’estimer les critères qui justifient les mutations des fonctionnaires. Comme dans toutes les administrations, les Douaniers peuvent demander à être mutés, ou peuvent subir un changement d’affectation qui est alors considéré comme une sanction.

Les années 1880 correspondent à la période la plus mouvementée des mutations du personnel, avec 18 occurrences, pour 4 seulement dans les années 1890, 5 dans les années 1900, 6 pour les années 1910, et 5 dans les années 1920. La stabilisation apparente du personnel entraîne une normalisation des relations avec la hiérarchie. Elle est liée à une certaine indigénisation des agents, sous-officiers et officiers subalternes, qui obtiennent des mutations près de chez eux.

Conclusion
La création de la nouvelle frontière de 1860, portée sur les Alpes fut à l’évidence un événement majeur de l’histoire des Alpes-Maritimes. Sans totalement rompre les liens qui unissaient les habitants de l’ancien Comté de Nice à ceux du Piémont, la frontière poussa le nouveau département des Alpes-Maritimes à se tourner résolument et définitivement vers la France.
En matérialisant la présence de la frontière grâce à l’implantation des postes de douane, et en multipliant les contraintes à la circulation des biens et des hommes, la Douane contribua a instaurer une rupture avec l’Italie. Une rupture en pointillés cependant, car la volonté de la part de cette Administration, d’éviter les tensions voire les conflits avec les populations nouvellement annexées, l’a conduite à faire preuve de souplesse. Une capacité d’adaptation qu’on retrouve quand le corps des douaniers doit s’adapter aux spécificités de la vie en montagne qui rendent les conditions d’exercice particulièrement difficiles et dangereuses.
Les Directeurs généraux ont tout fait pour imposer l’image forte d’un douanier dévoué à l’État qu’il sert. Chaque agent se devait d’être irréprochable. Et ce fut incontestablement le cas. Pour preuve de la réussite du modèle, il devint rapidement un exemple et permis l’intégration d’une partie de la population masculine du Haut Pays Niçois. À pareille enseigne que les Corses, les Niçois entrèrent massivement dans les Douanes. Ces vocations furent autant d’éléments d’intégration à la nouvelle Nation.


BIBLIOGRAPHIE

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Collectif Actes du 2ème colloque des musées des Douanes européens, Bordeaux, 12 et 13 octobre 1994
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Douanes, états et frontières dans l’Est des Pyrénées de l’antiquité à nos jours
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BASSO J. « Les réactions de l’opinion à l’égard du rattachement des communes de Tende et de La Brigue », in Nice Historique, octobre-décembre 1987, pp. 131-140
HILDESCHEIMER E. « Le traité de paix de 1947 et les territoires rattachés des Alpes-Maritimes », in Nice Historique, n° 4, octobre-décembre 1987, pp. 103-114
IMBERT L. « Tende et La Brigue à la France : l’annexion manquée (1860) », in Nice Historique, n° 1, janvier-mars 1948, pp. 25-28
ISNARD R. « Tende et La Brigue, 1947 », in Lou Sourgentin, novembre-décembre 1987, pp. 26-33
ISOART P. « La rectification de la frontière et les relations franco-italiennes », in Nice Historique, n° 4, octobre-décembre 1987, pp. 115-130
PANICACCI J.-L. « la situation des cantons frontaliers après la Libération », in Cahiers de la Méditerranée, n° 12/1976, pp. 47-55
PASCHETTA V. « Quelques faits inédits et vécus concernant l’histoire de la frontière des hautes vallées niçoises », in nice Historique, n° 4, octobre-décembre 1975, pp. 129-163

 

ANNEXE 1
Décret du 18 juin 1860 fixant les attributions
des nouveaux bureaux établis dans l’arrondissement de Nice.
Article 2

Les attributions suivantes sont conférées aux bureaux désignés ci-après, sur les nouvelles frontières maritimes ou de terre de l’empire, du côté de Nice :
Le bureau de Nice est ouvert : 1e à l’importation des marchandises payant plus de 20 francs par 100 kilogrammes ou nommément désignées par l’article 8 de la loi du 27 mars 1817 ; 2e à l’importation des marchandises dénommées dans l’article 22 de la loi du 28 avril 1816 et des denrées coloniales admissibles à une modération de droits ; 3e à l’importation des laines ; 4e à l’importation des machines et mécaniques et des parties de machines ; 5e au transit, à l’entrée et à la sortie des marchandises prohibées et non prohibées ; 6e à l’importation des produits de la Corse.
Les bureaux de Menton, de Saint-Martin-Lantosca et de Saorgio sont ouverts à l’importation des marchandises payant plus de 30 francs par 100 kilogrammes, ou nommément désignés par l’article 8 de la loi du 27 mars 1817. Les bureaux de Saint-Martin-Lantosca et de Saorgio sont ouverts en outre à l’importation des laines et ceux de Menton (par Garavano) et de Saorgio au transit, à l’entrée et à la sortie des marchandises non prohibées.
Sont ouverts à l’importation et à l’exportation des grains, légumes secs et leurs farines, les bureaux de 1e Saint-Étienne, 2e Saint-Sauveur, 3e Saint-Martin-Lantosca, 4e Saorgio, 5e Breil, 6e Sospello, 7e Castellar, 8e Menton, 9e Villefranche, 10e Nice.
Le bureau de Nice est autorisé à recevoir les premières déclarations et à délivrer les expéditions d’exportation pour toutes les marchandises de primes, à l’exception des sucres raffinés.
Les bureaux de Menton (par Garavano) et de Saorgio sont autorisés à constater la sortie et le passage à l’étranger de toutes les marchandises de primes, y compris les sucres raffinés, accompagnés d’expéditions émanant d’autres bureaux.
Fait au palais des Tuileries, le 18 juin 1860
Signé NAPOLEON
Par l’Empereur : Le Ministre des Finances, Signé P. MAGNE
Le Minstre Secrétaire d’Etat au département de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, signé E. ROUHER
Pour ampliation : Le Conseiller d’Etat, Directeur Général, Signé De FORCADE


ANNEXE 2
Le poste de douane de la Pointe des Trois Communes à l'Authion.

« Une fois, à l'été 1936, j'ai accompagné mon parrain qui était capitaine des douanes pendant sa tournée. Là haut aux Trois communes, de juin à fin septembre, il y avait des douaniers. On avait pas le droit de monter jusqu'aux Trois communes, les gens ne devaient pas aller au delà de la route, mais moi j'avais pu y aller parce que j'était avec mon parrain.
Son logement de fonction se trouvait à Breil, à la caserne de la Giandola. Lui était cantonné à Breil mais sa femme venait à Moulinet en vacances voir sa famille. Alors lors qu'il montait en voiture faire sa tournée, il venait nous voir au village.
Les douaniers habitaient dans le fort, ils étaient une petite équipe, cinq ou six, je ne me rappelle plus très bien. Ils surveillaient les sentiers car il y avait des contrebandiers. Quand ils étaient de surveillance, ils montaient par des escaliers sur le toit et ils faisaient des quarts, comme sur les bateaux, jour et nuit. Je crois qu'ils restaient quinze jours avant de redescendre.
A cette époque, il y avait des octrois. Quand on ramassait des châtaignes à Moulinet, en arrivant en gare de Nice à Saint-Roch, il y avait un poste d'octroi et on nous pesait les châtaignes. On devait payer un droit de passage, même si les marchandises venaient de chez nous. Tu ne rentrais pas s'en avoir payé un droit de passage. C'est la ville qui faisait payer les taxes.
Pour entrer dans le fort, on passait par le pont-levis. Il y avait des pièces aménagées avec un dortoir, une cuisine,.. Dans le sous-sol, les douaniers avaient des cochons d'Inde, ils les élevaient pour les manger. C'était plus facile à nourrir que les lapins. Ils m'en avaient donné un. Je suis redescendu avec un cochon d'Inde dans une boite à chaussure. »

Témoignage de Mme CARENCO Marie Antoinette, déc 1998, fonds DIANA Pascal


ANNEXE 3
Délibération du Conseil Municipal de Fontan
7 juillet 1929

M. BOTTONE E. docteur, maire, chevalier de la Légion d’Honneur
Présents MM. GABERT Jean-Baptiste, GIOANNI Louis, GIOANNI Jean-Baptiste, GIOANNI Jacques, GRAGLLIA Julien, PUTHONS Pierre, ROSSO Ignace, TOESCA Pierre, BELTRANDO Thomas, BOTTAS Benoit, ROSSO Julien
M. le Maire expose qu Conseil Municipal qu’en temps utile, il a signalé à M. le Directeur des Douanes à Nice et à M. le Préfet l’attitude déplorable du LTT des Douanes DIGNAC en résidence à Fontan, pendant la dernière période électorale pour les élections municipales. Il a exposé à ses chefs que M. DIGNAC avait prit carrément position contre la liste républicaine dont il était chef de liste.
M. DIGNAC, pendant une réunion électorale donnée dans la salle de la Mairie par le Maire sortant avait pris place à côté des conseillers de la liste opposée et narguait nos partisans, il voulait ainsi en imposer à ses subordonnés et leur tracer leur ligne de conduite au sujet du vote à émettre, pendant cette séance il a osé traiter ceux qui n’étaient pas de son choix de Communistes, et M. le Maire indique que ces paroles offensantes ont été entendues entre autres par le sieur CALMES Georges, Inspecteur principal de la Sécurité à Fontan, qui assistait à la réunion.
M. le Maire expose que M. DIGNAC l’avait même interpellé et de façon impolie, ce qu’il avait d’ailleurs relevé en lui disant que sas place était parmi le public et non pas au milieu des conseillers candidats, il lui a répondu par un sourire dédaigneux qu’il n’a pas cru relancer, car M. DIGNAC lui paraissait être dans un état spécial de surexcitation et il ajoute d’ébriété.
La réunion ayant été dissoute, l’attitude de M. DIGNAC avait soulevé l’indignation générale à un tel point que ce dernier a été traité de canaille, d’ivrogne, de belotteur, accusé de passer son temps dans les cafés au lieu de faire son service, etc, etc… M. DIGNAC a été conspué par les électeurs fontanais, par la jeunesse fontanaise et il le méritait. M. le Maire fait remarquer en passant que M. DIGNAC est un véritable agent électoral mais à opinions très changeantes ; et qu’il y a 4 ans, au moment des élections municipales, il eut une vive altercation avec le Maire sortant qui le traita de tout et qui, à ce moment là, il prêchait à qui voulait l’entendre qu’il fallait voter blanc. M. DIGNAC avant les élections, prêchait à ses subordonnés dans les conférences qu’il ne fallait pas se faire inscrire aux nouveaux arrivés, et à ses subordonnés anciens, inscrits, qu’il ne fallait pas prendre part au vote car les élections municipales n’intéressaient pas les Douaniers.
M. le Maire expose que jusqu’au soir du scrutin, l’attitude de M. DIGNAC a été déplorable et que la jeunesse fontanaise le poursuivait dans les divers cafés où il s’était rendu avec l’opposition pour faire pression, croyant à la réussite des candidats de son choix, candidats, répète-t-il, qu’il avait combattu il y a 4 ans.
Il expose en outre que l’après-midi du scrutin, M. et Mlle DIGNAC étaient constamment à leur fenêtre et se moquaient de lui et de ses fonctions, mais le comble s’est produit après le scrutin qui donnait à la liste BOTTONE une victoire éclatante ; en effet, un cortège imposant, musique en tête, au milieu des acclamations, s’était formé devant la mairie et s’apprêtait à faire le tour du village ; à son passage sous les fenêtres de M. DIGNAC, Madame DIGNAC et sa fille, toujours à la fenêtre, riaient et se moquaient du cortège, et au comble de la colère, Madame DIGNAC se laissa aller à un geste vraiment désobligeant et peu courtois : elle cracha sur la foule.
M. le Maire expose au Conseil qu’il s’est fait un devoir de faire continuer le cortège et ne pas s’arrêter à cette grossièreté car il est un fait certain que ce défi aurait pu soulever des incidents graves et regrettables, la foule riposta par des huées et ce fut tout. A ce moment-là, M. DIGNAC, gras de chemise, arriva en trombe à la fenêtre et toisa le cortège qui dédaigna cette provocation.
M. le maire expose au Conseil qu’il a signalé tous ces faits à M. PAUCHER, l’Inspecteur Principal qui avait été chargé d’une enquête à M. le Directeur des Douanes de Nice.
M. le Maire a appris que M. le LTT DIGNAC, interrogé, a nié toute la vérité ; il dit en passant que ce denier avait l’habitude de traiter tous ses subordonnés de Communistes. M. DIGNAC a signalé qu’il avait été insulté par M. GIOANNI Jacques, préposé à Breil, qui, d’après lui, était en état d’ivresse. M. le Maire expose au Conseil qu’il était à côté de ce proposé au moment où il a causé avec le LTT et que GIOANNI était en civil, qu’il venait d’arriver de Breil à bicyclette pour assister à la réunion et que dans ces conditions, s’il avait été en état d’ivresse, il n’aurait pas pu venir de Breil en ¼ d’heure etc. Tout cela a été inventé par le LTT pour se disculper. Et quand le LTT affirme qu’il a été insulté par GIOANNI , il oublie de dire que j’étais là et que c’est lui, comme je l’ai signalé ci-dessus, qui était dans un état spécial d’ébriété et qu’il a été traité comme il le méritait vu son attitude par M. ROSSO Jean-Baptiste, ancien brigadier des Douanes, et M. GRAGLIA Jules, employé du Crédit Lyonnais entre autres ; car l’on peut dire que l’indignation contre lui était générale. M. le Maire expose au Conseil que M. DIGNAC doit être changé de son poste, que sa situation actuelle à Fontan est impossible, que l’Administration des Douanes doit provoquer son changement pour convenances personnelles, celle-ci n’hésitant pas à appliquer cette façon de faire en ce moment à Breil ; il ne faut pas deux poids et deux mesures.
Il fait appel à M. le Préfet des Alpes-Maritimes pour faire obtenir satisfaction d’urgence à la Municipalité Républicaine et patriote de Fontan, toute composée de poilus qui ont fait toute la guerre et lui en exprime d’avance tous ses remerciements et sa profonde reconnaissance.

 

ANNEXE 4
Les cas de contrebande

Registre Saint-Sauveur 1860-1870
1863 8 faulx PV
1864 500 g tabac Confiscation
1864 300 g tabac fumer 45 cigarettes Déposées
1864 500 g tabac priser 17 kg de fromage Déposées et acquitté droits
1865 500 g tabac poudre Déposées
1866 2 légionnaires Remis à la Gendarmerie


Registre St Sauveur 1894-1935
1897 3 brebis 1 mouton 25 frs
1901 7 vaches 1 veau Transiger
1901 4 vaches 25 frs
1903 1 génisse 50 frs
1903 3 brebis 1 veau 25 frs
1903 2 vaches 1 veau 25 frs
1905 2 pantalons velours Transiger
1908 1 veau Transiger
1909 10 moutons ?
1910 2 vaches Contentieux
1911 Substitution 1 mouton blanc et 1 mouton noir Contentieux
1911 2 chèvres 1 mouton Transiger
1913 2 disciplinaires Remis à la Gendarmerie
1913 1 mule 3 ballots de tissus et mercerie 50 frs
1913 70 moutons italiens 2 000 frs
1913 12 brebis italiennes substituées 350 frs
1919 2 mules 1 âne 50 frs
1919 1 mule 25 frs
1920 2 prisonniers allemands Remis à la Gendarmerie
1920 1 mule ?
1923 1 mule 1 paquet de tissus 600 frs
1923 1 vache ?
1925 50 cigares 200 cigarettes 1 000 allumettes en cire 500 g de tissu 300 frs

Registre Roquebillière 1902-1926
1902 1 porc 25 frs
1903 10 brebis en excédent 150 frs
1903 2 déserteurs italiens Remis à la Gendarmerie
1903 37 moutons et brebis Saisis
1905 10 bêtes à laine Saisies
1909 24 hectolitres vin rouge PV
1909 15 moutons Soumission
1910 150 litres vin rouge PV
1910 240 litres vin rouge PV
1910 1 taureau Soumission
1910 500 litres vin rouge PV
1910 3 porcs Soumission
1910 144 chemises coton italiennes pour 80 kg en 2 ballots
1911 4 bêtes à laine PV
1921 1 mulet Transiger
1921 2 vaches Transiger

 

 

In Patrimoines du Haut Pays n° 8, pp. 54-103
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Douane et Douanier dans le Haut Pays Niçois en pdf

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