Douaniers et surveillance quotidienne dans le Haut Pays Niçois (1940-1980)

En deçà de la frontière : les douaniers et la surveillance au quotidien dans le Haut Pays Niçois (1940-1980)

En deçà de la frontière : les douaniers et la surveillance au

quotidien dans le Haut Pays Niçois (1940-1980)

GILI Eric
Professeur d’Histoire Géographie au Collège de la Vésubie
Chandolent@gmail.com

Le 7 janvier 1948 : Le brigadier chef LEBRUN et le préposé ATHANER en service d’investigation à Puget-Théniers ont rencontré un individu qui leur proposé de leur vendre 40 litres d’alcool. Rendus au domicile de ce dernier ont découvert ces 40 litres. Interrogés, il déclare se nommer AUTRAN, et avoir vendu au cours de l’année précédente 50 litres sans déclaration de régie. Un PV sur requête de la Régie lui fut adressé .
C’est de cette manière que nous pourrions débuter cette communication, à Puget-Théniers, en prenant l’exemple de ce concitoyen qui tente de vendre à des douaniers, certes en civils, de l’alcool qu’il a distillé… Avouons qu’il aurait pu trouver meilleurs clients.
Loin de l’anecdote, cette petite affaire nous permet d’introduire le thème de cette communication, concernant le rapport à la frontière des populations du Haut Pays Niçois durant le premier siècle de la période française (1860-1960). Les interventions précédentes de cette assemblée ont démontré que l’installation d’une frontière induit de nouveaux comportements et en renforce d’autres. C’est pour cela que je vous propose de tenter de répondre à la problématique suivante à travers de nombreux exemples prélevés dans les registres des brigades des Douanes de Roquebillière, Saint-Sauveur sur Tinée et Plan du Var durant le siècle qui suivit l’Annexion française.
Posons la question : En quoi la surveillance douanière est-elle révélatrice de l’évolution de la notion de frontière ?
Cela fait plusieurs années maintenant que nous nous intéressons au rôle des douaniers dans nos montagnes. Nous avons pu constater, avec l’exposition 2007 du Musée de l’AMONT et l’article publié dans notre revue Patrimoine du Haut Pays n° 8, que ces personnages, intégrés progressivement dans le paysage quotidien des habitants du Haut Pays, ont donné une consistance toute particulière à la notion de frontière. Quel personnel peut d’ailleurs légitimer mieux que lui cette frontière ? avec son pendant naturel, le contrebandier.
Posons toutefois comme préalable l’analyse de la nature des documents disponibles. Nous avons pu retrouver quelques registres mais de nombreux ont disparu. Ceux-ci sont d’une richesse inégale car la nature des annotations évolue sensiblement du début à la fin de la période qui nous intéresse ici. Au début, les officiers inscrivent scrupuleusement toutes les activités de la brigade, enregistrent les notes et les correspondances les plus importantes pour le Service. Cela reste vrai dans le premier tiers du XXe siècle, pour décliner ensuite, selon les consignes données par la hiérarchie, qui demande que seules les plus importantes affaires soient notées. Pour finir, à partir des années 1950, ces registres ne renferment plus que les visites des personnalités et la remise des récompenses aux personnels. Ainsi l’information n’est-elle pas uniforme du début à la fin de la période. Elle permet néanmoins une analyse fine des activités des postes des Douanes jusqu’au début des années 1950. Ces documents nous dévoilent le rôle du douanier, au quotidien, son travail sur le terrain, et au final, les relations qu’il entretien avec la frontière. Une durée relativement longue, sur un siècle, nous permet de considérer les véritables évolutions du métier, qui auront invariablement à entretenir une dialectique avec la notion de frontière.
En première analyse, plusieurs périodes peuvent être identifiées.
La première correspond à celle de l’intégration à la nouvelle Patrie. Elle correspond approximativement aux années 1860-1880, dont l’essentiel a déjà été exposé dans un précédent article .
La seconde est celle de la confirmation, de l’intégration réussie, entre 1880 et 1940. Elle est particulièrement marquée par une forte présence sur le terrain des fonctionnaires du Fisc. De fait, le douanier se confond avec la population locale, dont il fait désormais partie intégrante. De nombreux douaniers en poste dans les vallées du Haut Pays en sont d’ailleurs originaires : CORNIGLION, GILLI, PLENT, DALMAS... la liste est longue. D’autres ont fait souche.
La troisième, enfin, après 1947, est celle du replis des postes des Douanes en deçà de la frontière, mouvement qui a sans doute plusieurs causes et qui aboutit, comme nous le savons, à la disparition de la frontière elle-même. Durant cette dernière période, le rôle et l’activité du douanier ont fortement évolué, conséquence d’une nouvelle perception de la frontière.
Ce sont essentiellement ces deux dernières périodes que nous allons considérer dans cet exposé.

Le temps récent de la frontière : un douanier proche, une frontière proche
Dès juin 1860 se met en place une nouvelle frontière. Les populations de l’ancien Comté de Nice se retrouvent désormais séparées de ses voisins piémontais par une limite immatérielle, un tracé politique. Il est pourtant rendu bien réel par la présence de l'Administration des Douanes et des multiples procédures qu'il faut désormais acquitter dans sa vie quotidienne. Les habitants des villages montagnards et frontaliers s'habituent progressivement à cette nouvelle réalité géopolitique.
Ils accueillent un bureau ou même une brigade, côtoient les préposés et leurs supérieurs, entretiennent une relation faite de respect ou de crainte. Dans tous les cas, le douanier est assez rapidement considéré, après son installation, comme un membre éminent des communautés qu’il fréquente, à telle enseigne que l’instituteur ou le gendarme.
Son travail et les instructions officielles qu’il reçoit lui donnent un cadre précis d’interventions. Une partie de ses activités dépend des informations qu’il sait obtenir des habitants et du réseau relationnel qu’il a su créer. Ainsi, le douanier est-il au cœur de la Cité, ou du moins cherche-t-il à l’être.
Cette proximité se retrouve d’ailleurs dans la nature de ses prises. Comme il interpelle en premier lieu des individus qui ont une grande habitude de la frontière et de la montagne, le douanier saisi des produits destinés à la subsistance, et parfois à un début de spéculation organisée par les habitants des villages.

Une connaissance directe de la population et des contrevenants
Ainsi donc les douaniers se doivent d’entretenir de multiples contacts avec les populations parmi lesquelles ils vivent. L’Administration les aide en cela dès le début des années 1860 en mettant en place des règles plus souple que la stricte application des textes. Cette démarche rend la nouvelle pression fiscale supportable sinon acceptable durant les premiers temps de l’Annexion. Ainsi préconise-t-elle d’alléger les premiers droits portant sur les importations de céréales depuis le Piémont « pour faciliter l’installation … au milieu de population affranchies jusqu’à ce jour de toutes ces exigences ».
Mais dans un même temps, il convient de conditionner la circulation des biens aux nouvelles règles, de les « éduquer » aux nouvelles normes. Cet ensemble de procédures tend à rendre tangible la frontière qui vient d’être établie. Pour cela, l’autorité écrit aux différentes brigades pour leur rappeler qu’il est « essentiel de leur donner cette habitude avec tous les ménagements qu’exige la question politique qui prédomine ici la question du tarif » . Il s’agit à l’évidence d’une véritable politique, consciencieusement mise en place afin de faciliter l’assimilation des nouvelles populations à la France. Les nouvelles contraintes fiscales sont effectivement des marqueurs fort de la présence d’une nouvelle administration bien plus proche que ne l’était celle du régime Sarde. Elle y réussit d’ailleurs assez rapidement, sans doute pour de nombreuses raisons qu’il conviendrait d’analyser. Quelques exemples suffiront pour en illustrer le contenu. Le 2 novembre 1865, ce sont le sous-brigadier FUNEL et le préposé MAISSA, aidés assez rapidement par deux autres préposés, PASTOR et BELEOUD, qui se portent à la rescousse « du sieur MARTIN Jean-Baptiste [qui] s’est laissé choir sur la rive de la Tinée et a roulé sous leurs yeux dans un précipice de 80 m de profondeur… l’ont retiré tout meurtri et sans connaissance du fond du ravin où il aurait infailliblement perdu la vie sans leur assistance » précise le rapport . C’est le cas lors de l’incendie du village de Roure, en 1868, quand le Lieutenant de Saint-Sauveur mobilise « dix hommes disponibles » après avoir été prévenu par le préposé GRAC en poste à Saint-Roch. En aidant, en 1904, à l’extinction d’un incendie dans le hameau de Bousieyas, ou encore dans le village de Saint-Etienne de Tinée, en 1907, durant lequel l’action du préposé VIAL lui coûte la vie, « tombé du troisième étage d’une maison » . Ce peut être encore le cas lors des secours en montagne organisés par les douaniers ou auxquels ils participent, comme, en 1954, quand le douanier FERRIER participe au sauvetage de « 5 alpinistes perdus en montagne… retrouvés dans des circonstances atmosphériques pénibles », action pour laquelle il reçoit avec ses camarades des témoignages de satisfaction, « récompenses » des Douanes. Les exemples sont innombrables.
Malgré les précautions administratives prises et ces actions menées au profit des populations locales, l’acceptation ne se fait pas toujours au mieux des intérêts de chacun, et dans ce cas le plus souvent au préjudice de la population. Car ce n’est pas pour autant que les relations ultramontaines sont rompues. Les échanges avec les populations piémontaises sont constants, comme semblent le démontrer les « prises » des douaniers. Ceux-ci connaissent souvent « intimement » les contrevenants, appelés généralement dans les registres les « délinquants ». Des relations sont parfois très proches. C’est le cas à Belvédère, entre le douanier FERRIER et certains de ses « habitués », tels que le sont les « individus » BOIS et MACFARLANE, qui sont régulièrement l’objet d’arrestations.
Une descente de nuit chez le premier voit le douanier constater la présence de produits de contrebande cachés dans le lit du fils de la famille, mais, ne voulant pas procéder à la saisie dans ces conditions, sous les yeux de l’enfant, commande au père de se rendre le lendemain au bureau pour dresser le PV convenu. Les feuilles de tabac étaient cachées entre le drap et les couvertures … Le personnage est bien connu du Bureau de Roquebillière. L’exemple le plus extraordinaire rappelle que les préposés GIUGE et MATTEUDI, sur « l’extrême frontière près du Mont Joya … ils aperçurent deux individus conduisant un troupeau composé de dix bêtes à laine, à l’instant où ils pénétraient sur notre territoire par le vallon de la Gordolasque. Ayant à leur tour aperçu nos agents, ces individus prirent la fuite et se perdirent dans la forêt de la Clapesolle (?) où, malgré d’actives recherches, ils ne purent être rejoints… Dans leur course, nos agents purent reconnaître le nommé BOIS, dit Titello, propriétaire à Belvédère, lequel, tout en se sauvant, leur déclare que le bétail qu’il venait d’introduire appartenait au sieur ROBINI, boucher à Roquebillière. Le sieur BOIS n’est pas connu de notre service pour se livrer à la contrebande. A Belvédère, il exerce la profession de berger, cependant, cet été, il exploitait une vacherie à La Valette ». Et d’apprendre ensuite que la veille de l’événement ce même BOIS « était allé prévenir le brigadier à Roquebillière que ROBINI possédait un troupeau à la Gordolasque, [alors en] Italie, et lui donnait à entendre que le troupeau allait être introduit le lendemain par un nommé François qui aurait suivi pour cela, les sentiers de Férisson et de Nautès pour aboutir au vallon Vigne. Le brigadier GRAGLIA, ayant conçu des doutes sur la véracité des dires de cet individu, prit des dispositions de service telles qu’elles amenaient la saisie de 10 bêtes à laine de la race dite « de Tende » par conséquent italiennes ».
Cet épisode met en évidence le niveau de proximité entretenu par les douaniers et la population locale. Le futur contrevenant va jusqu’à aborder les douaniers qui doivent faire preuve d’une grande perspicacité pour ne pas tomber dans les pièges tendus. Même si en l’occurrence, l’exemple semble également démontrer une certaine naïveté de la part du contrevenant, pensant tromper la vigilance du Fonctionnaire. Il n’en demeure pas moins qu’une fois éventée la tromperie, il fallait être capable d’anticiper le passage réel des produits de fraude et poster les hommes au bon endroit. Cette démarche de contacts, qui transparaît rarement dans les registres, ne peut s’expliquer que par une réelle familiarité entre les deux parties.
De fait, ce sont les bergers qui semblent à cette époque les premiers concernés, ce qui n’est pas très étonnant. Le berger est un personnage des limites, à l’activité mouvante par nécessité, connaissant les passages par sa pratique au quotidien de la montagne, donc finalement un contrebandier potentiel. Ses troupeaux sont d’ailleurs régulièrement soumis à vérification.
Quarante ans plus tard les douaniers arrêtent toujours un dénommé BOIS de Belvédère. Il s’agit du fils du premier, confirmation donnée par son descendant, qui revendique l’appartenance à une véritable dynastie de contrebandiers. Cette fois, il est confronté aux Douanes avec d’autres protagonistes de la fraude organisée en Gordolasque. Le sieur BAGNUS Félix de Belvédère se voit saisir de 41 kg de beurre frais, BOIS de Belvédère de 74 kg de fromage, FRANCO André de Nice de 14 kg de beurre, LAMBERT Louis de Belvédère de 23 kg de beurre . La prise est importante car elle concerne des denrées contingentées, précieuses en ces temps de pénurie. Elle met également au jour la présence d’une véritable organisation de contrebande, de groupes constitués capables de transporter sur de longues distances, par les chemins montagnards plus de 150 kg de marchandises qu’ils savent pouvoir écouler par la suite. 3160 lires sont également saisies lors de cette prise. Elle concerne exclusivement des personnes de Belvédère, un groupe de proximité sociale dont les contours se dévoilent à l’occasion d’une opération illicite qui tourne mal pour eux. Même FRANCO, dit de Nice, est sans aucun doute issu de ce village. Mais peut-être s’agit-il de simples groupes informel, à géométrie variable selon les nécessités, capables de se former comme de se séparer selon les circonstances ? Les documents ne nous permettent pas de répondre à cette interrogation.
Le second personnage, MACFARLANE, souvent rencontré, reçoit un sermon de la part du douanier, qui lui fait comprendre qu’il vaut sans doute mieux proposer une autre perspective d’avenir à son fils, une autre « orientation » . Le fils ne fut pas contrebandier, il s’engagea dans l’Armée. Pourtant, le 31 mai 1947, le père (le fils, sans doute présent, n’est jamais cité dans les sources disponibles) est arrêté une nouvelle fois avec Constant GIORDAN, tous deux de Belvédère, pour une tentative d’exportation frauduleuse de 5 500 cahiers de papiers à cigarettes. La transaction qui leur est accordée s’élève à 43 000 francs . Quinze jours plus tard, nos deux contrevenants tombent de nouveau entre les mains de d’une nouvelle mission douanière, toujours dans la Gordolasque, pour 6 000 cahiers de papier à cigarette… Une mauvaise série pour eux… qui ne les empêche visiblement pas de continuer leur trafic. Paul MACFARLANE est de nouveau interpellé en mars 1948 , cette fois en compagnie de RISTERUCHI, transportant… 200 kg de riz !

Ces derniers exemples démontrent qu’il existe bien un lien direct, patiemment mis en place, entre les douaniers sur le terrain et la population du Haut Pays. Les prises réalisées sont dues essentiellement à des renseignements obtenus sur place, grâce à un réseau informel créé et entretenu par chaque fonctionnaire. Elles donnent lieu à des opérations parfois longues de planques.
C’est ensuite le résultat d’une connaissance profonde du terrain, gagnée à force de circulation, d’arpentage des montagnes et de leurs vallons, des passes, des sentiers et sentes, des sous-bois et des alpages quand ils sont en France… Rappelons-nous de la liste impressionnante des accidents, des maladies dont étaient victimes les « premiers » douaniers avant le siècle … connaissance du terrain qu’ils payèrent parfois au prix fort .
Toutes ces données vont dans le même sens. Le parallèle à cette connaissance intime tient à la nature des objets de contrebande. Celle-ci est avant tout dictée par le marché et les besoins de proximité.

Une contrebande de proximité
Pour reprendre le mot du chef de Sections MATHIEU, il s’agit à cette époque d’une « contrebande de type fourmi ». L’image correspond parfaitement au cheminement du contrebandier qui nécessite le franchissement laborieux de la montagne. C’est aussi le cas pour les volumes des objets fraudés, peu importants, ainsi qu’à leur nature. Si nous avons déjà vu quelques exemples des objets fraudés (papier cigarette, riz…), l’inventaire des produits passés délictueusement est évidemment bien plus large. En dernière analyse, l’analyse des natures des fraudes permet une lecture chronologique mais aussi leur catégorisation.
Il s’agit tout d’abord d’objets et de produits agricoles :
8 faulx étrangères, importé par le sieur BLANC Baptiste d’Isola (29 juillet 1863)
2 hectolitres et 5 litres de vin rouge en 4 outres par BLANC Baptiste et COTTIN Félix de Saint-Etienne, en surveillance au Pont de la Pessaou (21 juillet 1872)
90 kg de fromage se rendant à Isola (22 février 1873)
Nous retrouvons également des animaux dont la circulation n’est pas officiellement déclarée :
1 génisse saisie au boucher de Saint-Sauveur (28 avril 1903), pas de fraude, bête française, mais pas de passavant…
3 brebis 1 veau au boucher d’Entrevaux (12 juin 1903), pas de fraude…
2 vaches 1 veau au berger de Cuers (24 août 1903), pas de fraude…
Ou encore des animaux pour lesquels la fraude est avérée, ce qui nécessite souvent de faire preuve d’une grande perspicacité pour la confirmer :
substitution d’1 mouton blanc par 1 mouton noir (11 novembre 1911)
un excédant de 2 chèvres 1 mouton sur le troupeau (5 juin 1911)

Un autre produit qui est l’objet d’importants échanges est le tabac. Si les formes de sa fraude évoluent en suivant les modes, il s’agit là d’un produit fraudé avec une grande constance durant toute la période. Il prend la forme de tabac à priser avant 1900, puis celle de cahiers de papier à cigarettes, et enfin celle des cigarettes américaines ou anglaises après guerre. On peut le comprendre à la fois par le rendement de cette fraude, assez lucrative pour de petits volumes transportés, mais aussi parce qu’il s’agit d’un produit universellement demandé, soumis à une lourde fiscalité. Une des plus belles prises est celle réalisée le 28 juillet 1925, lors de l’arrestation de Giovanni MALATESTA , qui est appréhendé avec, entre autre, 50 cigares, 200 cigarettes, 1000 allumettes de cire…

Cette fraude de proximité tient bien évidemment au contexte géographique et sociologique, mais aussi à la nature de la frontière, passant le plus souvent, avant 1947, en fond de vallée plutôt que le long des crêtes, les espaces d’altitudes recevant durant cette période l’appellation de « Chasses royales ». L’exemple le plus intéressant que l’on puisse en donner, en dehors des espaces traversés par la route, comme en Roya, est celui du trafic qui anime le vallon de Mollières. Ce hameau de la commune de Valdeblore (aux XVIIe et XVIIIe siècle, on l’appelle alors manse) est resté séparé de son chef-lieu historique par la nouvelle frontière de 1860. Contrairement à Tende et à La Brigue, qui sont des communes à part entière, aucune route ne traverse cet espace et ne donne accès au hameau de Mollières. Son nouveau chef-lieu de rattachement, Valdieri, reste le plus clair de l’année inaccessible à cause de la neige qui obstrue les chemins muletiers, seuls voies possible pour le rejoindre. Le débouché naturel de son vallon rejoint la Tinée au Pont de Paule, où est installé un poste des Douanes françaises. A tel point que même la Poste de Mollières est acheminée par Saint-Sauveur sur Tinée. Une situation originale (sans route et avec un débouché naturel dans un autre pays…) qui donne lieu à des comportements face à la frontière eux aussi originaux.
Comme dans d’autres territoires, la fraude est présente dans cette région et répond avant tout à la nécessité des échanges « traditionnels », dite aussi, selon le terme employé par l’Administration des Douanes, de « filtration ». Mais il s’agit aussi d’une fraude de spéculation, transportant des produits qui sont l’objet d’un véritable commerce, comme le tabac à priser : le 23 juillet 1864, Joseph MARIA, dit Lou Cassagne, de Mollières, est arrêté et la fouille au corps met au jour 500 g de tabac. Le 18 décembre, c’est au tour du sieur ORAN, de Saint-Sauveur, d’être arrêté avec le même produit et la même quantité, alors qu’il revenait de Mollières. Les débitants de tabac en zone française sont particulièrement surveillés, et lors d’une visite domiciliaire, la veuve GAISSA de Saint-Sauveur se trouve dépositaire de 150 g de tabac « étranger », saisis le 21 novembre 1865, qu’elle avoue avoir rapporté de la fête de Sainte-Anne de Vinadio au mois de juillet précédent .
Plus généralement, ce sont des objets d’usage courant qui sont saisis : 2 pantalons de velours sur le sieur Gaspard GIUGE, cultivateur à Mollières (2 février 1905) ; une mule appartenant au sieur Augustin GIUGE toujours de Mollières (15 janvier 1913) ; mais aussi une tentative d’introduire des animaux d’élevage, tels que les 70 moutons de François GIUGE (septembre 1913) ou 4 brebis italiennes par Baptiste GRAGLIA, 8 autres de Maurice et Jacques GIUGE, tous cultivateurs à Mollières (novembre 1913) ; ou celle d’1 vache du sieur Emile RICHIER, le fils de Joseph, le fameux facteur de Mollières très défavorablement connu des services des Douanes pour organiser une partie du trafic illicite (21 octobre 1923).
Le vallon de Mollières est d’ailleurs l’un des accès les plus pratiques et discrets à la France, à tel point que le 4 mai 1894, le Lieutenant des Douanes en responsabilité du Bureau prend des mesures car il « vient d’apprendre que les espions italiens viennent à Saint-Sauveur pour surveiller les mouvements de nos troupes… [et qu’ils] parviennent dans le bourg sans passer par la route ». Ses informations lui suggèrent qu’ils « suivraient un sentier aboutissant d’un côté au vallon de Mollières au dessus du pont de ce nom, et de l’autre au-dessus du tunnel d’Aghet ». Il y envoi un brigadier et un homme en civil pour reconnaître le sentier en question en insistant sur le fait que si des « espions » potentiels l’empruntent, c’est qu’il [l’accès] doit être connu des contrebandiers. Ainsi la Douane assure-t-elle dans cette affaire deux de ses missions fondamentales, celle d’assurer la sûreté de son territoire, et celle d’en préserver les ressources fiscales. Une « surveillance secrète et continue » y sera d’ailleurs assurée, et tout « individu inconnu ou à l’allure militaire devra être signalé » à la Gendarmerie. Ces temps de tensions se renouvelèrent à de nombreuses reprises durant la période qui nous intéresse et mirent à chaque fois la Douane en première ligne. A la suite de ces exemples, il apparaît donc bien que la frontière est considérée comme un espace à clore, une zone par nature dangereuse.

Ces quelques exemples nous permettent de considérer la frontière sous de multiples aspects. A la fois comme un lieu d’échanges habituels, traditionnels, naturels entre populations des deux versants qui entretiennent des relations depuis des siècles. Leur but est avant tout d’assurer un approvisionnement lacunaire et vivrier. Elle peut également être un lieu au potentiel spéculatif intéressant à bien des égards, qui permet d’assurer un complément de revenus, et parfois les seuls revenus, aux populations qui n’hésitent alors pas à frauder. Il peut aussi s’agir d’un lieu d’alliances comme le démontrent les nombreux mariages qu’impliquent des relations pacifiquement entretenues, et qui les renforcent. Enfin, un lieu fragile de contacts, de tensions potentielles, où le pouvoir régalien assure sa présence et qui « y fait naître la Nation ».
Nous étions au temps de la frontière proche… La troisième période, celle qui débute avec l’après-guerre, dévoile de nouveaux types de comportements, de nouvelles relations entre les habitants, la Douane et la frontière.

Le temps long de la frontière : le repli douanier, une frontière qui s’étiole

Avec la fin de la guerre et le règlement qui est apporté à la question des terres communales « françaises » cédées à l’Italie naissante au nom du droit, très diplomatique, de la conservation des terres de chasses du roi Victor-Emmanuel II, un nouveau territoire et une nouvelle frontière apparaissent. Ils nécessitent des aménagements immédiats. Les postes des Douanes sont portés en avant de la frontière de 1860 et gagnent le pied des accès aux cols et à la ligne de crête : à Saint-Grat dans la Gordolasque, au sanctuaire de la Madone de Fenestres, aux vacheries du Boréon, ou le col de Tende… Le territoire s’est sensiblement élargit. Il nécessite de fréquentes reconnaissances pour familiariser les personnels à ces nouvelles contraintes qui sont celles de la haute montagne, obligations que n’avaient pas toutes les brigades auparavant.
Mais cela ne dure qu’un temps. Dès 1949, le commandement des vallées est assuré par un lieutenant (Henri CHAMBON), installé à Plan du Var. Les brigades sont dirigées sur place par des adjudants et des brigadiers. Puis, en 1953, le poste des douanes de Saint-Sauveur est supprimé et les douaniers rapatriés sur Plan du Var . Ils intègrent alors la brigade mobile dont la zone d’action (peut-on encore parler de Penthière ?) s’est considérablement élargie. Le registre des événements de ces années d’après-guerre nous indique que la brigade intervient de Nice à Vence, dans toutes les vallées, mais aussi à Saint-André des Alpes et jusqu’à Digne.

Après guerre, l’activité des brigades s’attache aussi à limiter le nombre des migrants. Les exemples sont nombreux. La brigade de Saint-Sauveur arrête 2 clandestins le 3 août 1947 , dans le secteur de Turini l’Authion et de la Gordolasque, qu’elle refoule. Inversement, celle de Saint-Etienne de Tinée réussi à mettre la main sur 37 déserteurs italiens pris entre le 7 avril et le 1er octobre 1946 et 17 autres entre le 3 juin et le 9 septembre 1947 …

Au temps des Américains, de nouveaux produits
L’après-guerre est un temps d’évolution. Si la frontière a été déplacée, elle est l’objet de nouvelles tensions en ce qui concerne les territoires d’Isola et ceux de Tende et de La Brigue qui possèdent des pâturages et des forêts au-delà des cimes. Les concepts de frontière et de fraudes évoluent eux aussi.
En premier lieu, la zone frontière devient lieu de transit pour une « population d’immigration » en direction des villes littorales. Mais il ne s’agit plus seulement, comme ce fut auparavant le cas, d’intercepter des individus pris sur le fait, à proximité de l’Italie, puis de les refouler immédiatement. La plupart d’entre eux sont arrêtés à Plan du Var, lors de contrôles de véhicules, et le plus souvent des cars réguliers qui desservent le Haut Pays.
Le premier cas qui nous est rapporté est celui du service du 8 juin 1947, qui se déroula à l’Authion. Le brigadier CIAIS, accompagné des préposés MUSSO, MUCHELI, ATHANER, GIUDICELLI, CORNIGLION et MARIO, réussissent à interpeller
11 h Mathieu GIORDANO, de Vernante, « qui pénétrait sur notre territoire porteur d’une machine à faire la glace de marque italienne et de 1000 lires ». L’affaire ne s’arrête pas là et celui-ci déclare « importer la machine pour le compte du sieur Joseph BRUNO, demeurant à Golf-Juan » et qu’il devait la lui remettre. Le Service décide donc d’attendre l’heureux destinataire. Attente qui est récompensée par un beau succès, le commanditaire arrivant sur site quelques heures plus tard. Il est immédiatement mis en état d’arrestation et transféré au Bureau de Plan du Var où il transige avec l’Administration pour 18 000 francs, abandonne la machine, et doit payer une amende de 32 000 francs plus les frais… Une prise de premier ordre qui révèle le nouvel intérêt que pouvait revêtir la fraude pour importer de petits produits. Dans le même ordre d’idée, les registres de Saint-Sauveur et Plan du Var regorgent, à cette époque, de saisie d’accordéons (les 29 octobre et 14 novembre 1947, le 26 novembre 1948, les 12, 14 et 20 juin, le 18 septembre 1949…), de machine à faire les pâtes, d’appareils photographiques…
Mais revenons à l’opération du 8 juin. Le Service, restant sur place, n’a pas terminé sa journée. Une autre personne, Antoine GIORDAN, également italien, est trouvé porteur de 4 kg de saccharine et de 3 kg de vanilline (24 000 francs et abandon de la marchandise) ; puis, vers 7 h du soir, c’est au tour de Joseph GIORDAN qui est arrêté avec 6 kg de saccharine et de 2 kg de vanilline (30 000 francs d’amende) ; à 9 h, Joseph MALACOME, de Coni, est arrêté porteur de devises (1 000 lires) ; puis un certain DEL GADIO, clandestin ; enfin, vers 10 h, Louis MASCHIO est arrêté alors qu’il transportait divers habits neufs d’origine italienne (9 000 francs d’amende). Les deux derniers individus interpellés sont remis entre les mains de la Gendarmerie. Un journée riche en événements et en prises pour les douaniers, qui offre un éventail quasiment complet des objets de fraude. Le site de l’Authion semble alors offrir un potentiel exceptionnel pour le Service.
En cette période de pénuries alimentaires, la contrebande « traditionnelle » est encore active. Les papiers à cigarette que nous avons déjà rencontré (2 800 par Jean GIORDAN, 6 500 par Jules GASIGLIA, et les 6 000 de l’équipe MAC FARLANE déjà interceptés tous en juin 1947), mais aussi du beurre, du fromage, le tout en juillet 1947. Du riz, du café, mais aussi des produits moins habituels, comme l’absinthe, interdite en France depuis plusieurs décennies.

Les visites domiciliaires deviennent assez fréquentes mais dépendent avant tout d’informations obtenues de la population. Elles dévoilent des fraudes concernant d’autres produits (clous, bougie, conserves alimentaires, draps…), et surtout des cigarettes américaines et anglaises. Un nouveau type de consommation directement issu de la guerre, que l’on retrouve dans les bars, les hôtels qui reçoivent la visite des Douaniers : 100 sont trouvées à l’Hôtel Terminus de Saint-Martin-Vésubie (13 août 1947), 100 autres sur le sieur Liberio VITTI (15 octobre 1947), 1 kg ¼ d’anglaises sont trouvées à Auron chez le commerçant LEHOUX, qui déclare d’ailleurs en avoir déjà vendu ½ kg, ou encore au Grand Hôtel de Valberg où 800 g sont trouvés et 40 paquets d’américaines trouvés vides entre les mains du sieur BUFFA, et sans doute la plus belle prise, 10 kg ½ de cigarettes de même origine lors d’une visite domiciliaire à Nice (24 janvier 1948)… qui concurrence le tabac italien dont de petits volumes étaient régulièrement interceptés (1500 g de tabac de monopole trouvés sur un italien quelques jours auparavant). Les exemples sont nombreux. Le choix des produits est commandé par les demandes du marché et la plus-value espérée par les fraudeurs.

Les douaniers ont également un autre rôle dans cette période encore troublée de l’immédiate après-guerre. Ils agissent pour « désarmer la population ». De très nombreuses armes et munitions sont trouvées et saisies. Pistolets beretta italiens, mitraillette USA avec 320 cartouches et 2 chargeurs ; 1 coutelas accompagné de 150 cartouches de guerre Mauser allemand ; fusils américains et belges… reliquats des objets cachés durant la guerre, prélevés sur les occupants ou abandonnés par les Américains. Les volumes retrouvés sont importants et donnent l’image d’une population fortement armée, qui a conservé de nombreux objets de la guerre passée et semblent chers aux yeux des habitants, encore fortement ruraux. Que peut-on penser de l’action des douaniers, et sans doute aussi des Gendarmes, malgré tous leurs efforts, alors que nous retrouvons encore de nos jours, et assez régulièrement, ces mêmes armes et objets de guerre chez de nombreux particuliers et dans des remises ?

Il existe enfin un trafic de devises, peu actif avant guerre, qui devient important à cette époque. De 1947, durant quelques mois, 26 saisies de devises sont effectuées, dont 16 le sont en lires ( pour un total de 35 526), 7 en francs (qui font 15 060), les trois dernières en marks (7 050), drachmes grecques (5 000 000) et 25 francs suisses. Les sommes sont importantes, certaines prises atteignent 9 000 lires… ce qui laisse présumer la présence d’un réseau capable d’écouler pareilles sommes.

Au total, il ne fait aucun doute que la nature et les modes de fraudes ont changé et soulignent des transformations sensibles du concept de frontière. Celle-ci n’influe plus uniquement, et de moins en moins, sur la consommation locale. Elle laisse désormais passer des produits ayant une toute autre utilité que la simple satisfaction des besoins des populations des montagnes. Du coup, le travail des douaniers a lui aussi évolué.

De nouveaux moyens de communication, un volume plus important
Le recul de la « ligne idéale » de la frontière est aussi la cause d’un changement de destination des produits et d’une transformation profonde des moyens de la fraude. La création de la brigade mobile de Plan du Var cherche à répondre à ces mutations que l’Administration décèle rapidement. Rappelons-nous que la première saisie « moderne » avait eu lieu dès 1939, alors qu’une voiture qui tentait de fuir depuis Pont de Paule (Tinée) était interceptée à Plan du Var grâce à un barrage installé par la Gendarmerie et malgré la poursuite en moto, pour une prise record de… 2 kg 100 de truites… Equipée de véhicules, la brigade intervient régulièrement dans le vaste périmètre déjà décrit mais doit entretenir un important réseau d’informateurs, procéder à de nombreuses enquêtes. Par ailleurs, et ce n’est pas un hasard, les registres des événements rappellent que les personnels des Douanes sont régulièrement l’objet d’accidents de la circulation… de nouveaux risques qui n’existaient évidemment pas auparavant, sinon ceux de bicyclettes, généralement moins violents.
Désormais, les Douaniers s’ingénient à déceler les fraudes et les clandestins lors des visites des cars des vallées, dans les voitures particulières, et même dans les camionnettes qui circulent sur les routes de montagne. La surveillance des cars donne lieu à l’appréhension de nombreux clandestins dont nous avons déjà parlé, et permet de mettre la main sur de nombreux objets et produits passés frauduleusement à destination de Nice et de la Côte.
Pourtant, à lire les registres de Saint-Sauveur et Plan du Var, ce n’est pas là qu’ont lieu les plus importantes prises. Car cette dernière période est aussi celle des prises de gros volumes. Terminées les fraudes « à dos d’homme ». Une saisie à Nice, le 14 janvier 1948, permet de mettre la main sur 138 kg de café. Dix jours plus tard, toujours à Nice, ce sont 300 kg de café qui tombent entre les mains des Douanes.
C’est aussi le cas lors des opérations menées à Digne et dans sa région, où les informations obtenues lors d’enquêtes préliminaires permettent de saisir d’importants volumes de café (18 kg puis 10 kg en septembre 1949) que les contrevenants déclarent être allés chercher à Marseille, le grand port méditerranéen, livrés par des « nord-africains ».
Au-delà de la métropole azuréenne et des « grandes » villes, les Douanes saisissent encore plus d’une tonne de blé à Gillette, chez le boucher Pierre LAUGIER (7 décembre 1948), qui déclare les avoir transporté depuis Toudon pour alimenter un réseau de vente. Plus modeste mais toute aussi intéressante est la prise effectuée à Saint-Martin-Vésubie quelques jours plus tôt, à l’Hôtel des Etrangers, chez Mme veuve GARIN, où sont saisis 10 kg de riz, ou chez l’épicier GHETTI où sont trouvés 40 kg de riz qu’il dit avoir acheté à des Italiens dans la vallée du Boréon (18 novembre 1948). Enfin, toujours à Saint-Martin-Vésubie sont saisies 11 kg de pâtes alimentaires chez Louis AIRAUT, cultivateur, « qui se livrait dans cette commune au trafic des denrées alimentaires », elles aussi achetées à un italien et transportées à son domicile sur sa charrette . En cette occasion apparaît un objet d’un autre temps, trouvée chez le contrevenant : une ceinture de fraudeur, qui contenait 59 tubes de pierres à briquet… ce qui nous rappelle incidemment qu’à côté de la nouvelle fraude, de plus grande envergure, existe encore celle dite de subsistance, qu’entretiennent certains habitants du Haut Pays. La fourmi est toujours active, même si ses prises sont devenues anecdotiques pour l’Administration. A bien y comprendre, les opérations menées dans le Haut Pays dans les années d’après-guerre ressemblent plus à un moyen de rappeler la présence de la frontière. Malgré les violentes tensions inhérentes à la guerre, et qui n’ont au final qu’un lien très lointain avec la frontière (il s’agit plutôt d’un front), celle-ci semble dans un même temps s’étioler progressivement.

Les années de l’immédiate après-guerre ont été celles du repli des bureaux et postes des Douanes bien en arrière de l’ancienne (1860) et de la nouvelle frontière (1947). Le travail du Douanier a lui-même sensiblement évolué durant cette période. Il devient un agent d’enquête plus que de terrain tel qu’il l’était à ses débuts dans l’ancien Comté de Nice. Au final, le volume des prises effectuées est en très nette augmentation, mais peut-être cela est-il dû avant tout au développement économique de nos deux pays autant qu’aux conjonctures politiques qui accentuent la séparation entre les populations alpines. Du moins pour celles qui n’avaient pas d’accès routiers.

Conclusion :
Pour en revenir à notre problématique de départ, cet exposé nous a permis de démontrer que la nature de la surveillance douanière est un bon révélateur de l’évolution du concept de frontière. Pourtant, celui-ci, parce qu’il évolue rapidement, est moins le résultat d’une réelle transformation du territoire que d’une nouvelle perception de la frontière. Quand la surveillance prend du recul, c’est avant tout parce qu’elle doit s’adapter aux nouvelles réalités de la fraude. Elle-même s’est accentuée parce qu’elle prend désormais en compte non plus l’économie de proximité, tournée vers la survivance des populations alpines – et en cela traditionnelle – mais plutôt parce qu’elle servait à alimenter un nouveau marché, bien plus large, où la ville, comme lieu d’échange des produits, tient désormais la première place. L’échelle territoriale a changé, les volumes fraudés également, les méthodes de contrebande aussi.
Les derniers bureaux des Douanes du Haut Pays furent fermés dans les années 1980. La brigade de surveillance et d’intervention de Var-Tinée, installée à Plan du Var, est supprimée en 2002, et ses effectifs sont redéployés sur l’aéroport de Nice Côte d’Azur. Cet événement, plus de 140 ans après la mise en place des réseaux douaniers du Haut Pays Niçois, est l’ultime avatar de la politique communautaire qui mène aux accords de Schengen . La Douane n’est plus matériellement présente dans nos montagnes, la frontière n’existe officiellement plus, et les populations reconstituent progressivement des liens séculaires et pédestres avec leurs voisines immédiates. La montagne est redevenue un pont entre les hommes, reste à franchir l’obstacle de la langue.


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In Actes du Colloque International de Puget-Théniers HistoireS de Frontières, pp. 175-187
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