Le cadastre de Venanson

Le cadastre « Napoléonien » de Venanson en 1874, image d’une communauté figée ?

Éric GILI

 

 

 

 

Introduction

Le 6 mai 1874, le Préfet des Alpes-Maritimes nommait Andrio, propriétaire à Aspremont, expert pour préparer la réalisation du cadastre de Venanson. La procédure rappelle que la commune, « située à l’extrémité du canton de Saint-Martin, est une des moins importantes de l’arrondissement ». Et de rajouter que « le commerce y est nul et la population essentiellement agricole », pour ne vivre « que du produit des bestiaux qu’ils nourrissent sur les riches pâturages communaux ». Qu’enfin, « la commune possède une magnifique forêt dont le produit serait considérable si l’administration forestière procédait à l’aménagement si instamment demandé par les habitants ». Entendons les chemins d’accès. Le territoire ‘utile’ ne représente qu’1/5ème de la totalité de la commune, le reste n’étant que bois et pâturages communaux.

 

C’est pour aider à cette réalisation qu’est dressée, le 15 mai, la liste des 20 principaux propriétaires, au premier rang desquels se trouve le maire, François Guigo, de feu Antoine. 4 conseillers se trouvent également parmi ces propriétaires. Antoine Abolin son adjoint, Honoré Guigonis, Joseph Plent et Simon Steve. Trois jours plus tard, le Conseil Municipal nommait des classificateurs dont le rôle était d’établir la tarification provisoire des classes de terrains selon leur nature, de 1 pour la plus productive, jusqu’à 4 pour la plus pauvre. Le maire et son adjoint, associé à Pierre Guigo de Joseph, puis à un autre Pierre Guigo, feu André et Louis Laugeri feu Gabriel, ces deux derniers de Saint-Martin, prévoyant même leurs remplaçants en cas de défaillance, sont nommés afin de procéder à l’opération de classification. Le Conseil déclare d’ailleurs que ces « classificateurs possèdent la connaissance parfaite des différentes parties du territoire ». De véritables experts. Ils peuvent néanmoins s’adjoindre « autant de personnes » qu’ils le souhaiteraient pour mener à bien cette tâche… L’opération est annoncée début juin. Elle débutait, après 10 jours d’information au public, le 17 juin. Une reconnaissance générale du territoire est alors réalisée par 10 classificateurs.

Ils procèdent au choix des types de natures de sol, identifient les prés des champs des pâturages… durant 4 jours, et choisissent des parcelles représentatives pour établir l’échantillonnages sur lequel va s’appuyer la fiscalité foncière. En fait, cette mission vient après celle des arpenteurs, qui ont dressé un premier état, avec l’aide des habitants, qui « se sont mis entièrement à la disposition des géomètres ». Ils ont alors réalisé le plan des parcelles. Les classificateurs en jugent avec un certain dédain, qualifiant cette étape comme réalisée avec « une grande légèreté ». Pour bien marquer leur désapprobation, ils n’hésitent pas à lui attribuer, avec une certaine audace tout de même, les deux tiers des erreurs qu’ils ont pu relever. Pour pallier à ces déficiences et rectifier la vérité du terrain, ils proposent la création « d’un assez grand nombre de parcelles » et obligent à rectifier « plusieurs erreurs d’attributions ». Les corrections portent sur des toponymes et des natures « à revoir », ainsi que l’attribution de certaines parcelles à leurs vrais propriétaires. Certaines terres sont dites appartenir à l’Hospice de Venanson, à la Rectorie du Rosaire, et sont l’objet de véritables litiges d’appropriation.

La deuxième étape consiste à la formalisation de la proposition fiscale. C’est au Conseil que revient l’adoption du tarif proposé. La procédure prévoit enfin une dernière vérification en ouvrant les résultats des experts à la population. Les habitants sont alors appelés à présenter leurs réclamations après avoir pris connaissance des propositions cadastrales dès le 7 juillet et durant 15 jours. Mais aucune contestation n’est enregistrée. À cette date, ce même Conseil valide les différentes classes fiscales selon leur nature : 4 pour les terres arrosables, 3 pour les prés arrosables, les prés secs, les terres sèches, les châtaigneraies, bois et pâturages. 2 enfin pour les jardins, qui sont des pièces de terre très recherchées. Un test a été établi pour pouvoir en considère les effets à partir d’un échantillon de propriétaires, tant privés que publics.

Ainsi, Célestin Guigo, propriétaire pour 200 francs de revenus nets, est imposé pour un revenu cadastral de 99,83 francs. Antoine Abolin, propriétaire pour 500 francs, donnant 224,59 francs de revenus cadastraux. Ou encore la Commune, dont les propriétés se montent, selon l’estimation, à 10 500 francs de revenus nets, est imposée pour 5 195,57 francs de revenus cadastraux….

La proportionnalité du tarif étant reconnue, comme l’est alors la régularité du classement, les propositions des classificateurs sont adoptées. Ainsi débute l’installation du cadastre dit « Napoléonien » de Venanson.

 

 

1. Le cadastre, instantané d’un territoire ?

Le cadre administratif est donné. Le territoire de Venanson est très homogène, compris entre la rivière Vésubie à l’Est à 750 m d’altitude, la cime du Conquet au Nord (1 776 m) et le cirque dominé à l’Ouest par le mont Chalancha, au Sud par le mont Siruol (2 053 m), s’étendant sur 1 798 ha. Cette particularité géographique, celle d’un territoire ramassé, offre l’opportunité d’une étude exhaustive du territoire.

Le choix initial a été de s’appuyer sur le cadastre « napoléonien » de 1874, même s’il faut pour cela se garder d’y voir un document idéal, considéré entre « vertus et limites d’un instantané ». Pour reprendre le mot d’Andrea Longhi, sa réalisation est assurément « le résultat d’une négociation locale, d’approximations techniques, de médiations culturelles voir de fraudes fiscales », certes atténuée par la co-surveillance des propriétaires fonciers et des agents de l’État. C’est ce qu’a démontré le dossier d’analyse cadastrale produit par la Préfecture des Alpes-Maritimes. Cette autosurveillance villageoise doit encore s’exprimer avec une certaine rigueur à cette époque, orchestrée par l’élite sociale, si on la compare à celle qui s’exerce aux époques immédiatement postérieures marquées par la déprise rurale. Chaque concitoyen devait jusqu’alors supporter la fraude potentielle de son voisin, puisque la Communauté villageoise était chargée de répartir l’impôt. Ce qui impliquait une surveillance accrue des déclarations. Désormais, c’est la nature même du document qui y incite, en transférant l’assiette de l’impôt foncier du niveau local à l’échelle nationale. De fait, la ventilation des taux d’imposition ne nécessitait plus l’extrême vigilance du voisinage. L’État avait établi un taux général portant sur la totalité du pays.

Une rapide analyse des archives de la commune fait apparaître une documentation très lacunaire des fonds fiscaux locaux disponibles, ce qui rehausse encore l’intérêt du dossier cadastral. Il fait suite à une seule matrice connue du cadastre de 1702 et des mutations concernant les années 1783 à 1827, puis de 1820 à 1860. Les documents de l’époque moderne ont disparu, ou n’ont jamais existé, alors qu’ils sont encore présents dans les archives des communes voisines. De l’occupation française de la période Révolution-Empire n’a été conservé que le procès-verbal de la délimitation de la Commune de 1807. Après la Restauration, l’Annexion française de 1860 donne alors lieu à une enquête de connaissance du territoire communal dont nous avons conservé procès-verbaux et délibérations, à partir de 1864. Ce sont les actes préparatoires à la mise en place d’un nouveau cadastre (« Napoléonien »), le premier à recevoir un plan complet de la commune, dont la première matrice débute dès 1863. Pour mémoire, il convient de rappeler que le territoire de Venanson, comme celui de toutes les autres communes, s’est progressivement constitué, par adjonctions et retraits successifs, sans linéarité historique, de quartiers entiers. Le premier exemple connu est le litige opposant la Communauté à celle voisine de Roquebillière au sujet de limites contestées dans le quartier du Ceyroal, composé de forêts et pâturages. Les procès sont récurrents au sujet de ce quartier, renouvelé en 1410 puis en 1499… et encore à la fin du XVIIIe siècle pour les « lieux-dits La Caume et la source dite Le Pas Ferriol ». Une dernière occurrence judiciaire est prononcée dans la décennie 1863-1873 contre Roquebillière, toujours au sujet des limites communales, « notamment dans la forêt de Malli [Malunes ?] ». Le document rappelle à ce sujet, sans qu’il soit possible d’en vérifier la véracité, que le procès avait été entamé en… 1353 ! Limites fixées par décret Impérial.

Plus original, une nouvelle fixation de confins est établie en 1761 avec la Communauté de Lantosque, également pour les forêts et pâturages du massif du Tournairet. Des confins, cette fois avec Saint-Martin, qui sont également confirmés par contrat dans les années 1440, au sujet des terres de la rive droite de la Vésubie, généralement appelées Deloutra par les Saint-Martinois, anciennement Condamine (le toponyme disparaît au XVIIe siècle), et jusqu’aux sommets du Conquet, en avant du vallon menant aux Colmianes. Sur ce dernier versant, les deux communautés voient leurs privilèges d’exploitation et d’usages sur les bois et pâturages confirmés par la Cour à l’extrême fin du XVIe siècle. Le territoire que le cadastre « Napoléonien » prend en compte en est le résultat. Sans doute, longtemps, la « communauté villageoise… a pu parfaitement se satisfaire de la fluidité, de la mobilité des structures agro-pastorales ». Il n’est, pour s’en convaincre, que de rappeler la multitude de procès et actes formels conservés concernant les litiges qui ont régulièrement mis en confrontation Venanson avec ses voisins, Saint-Martin, Roquebillière ou même Lantosque. L’image du territoire qu’offre le cadastre « Napoléonien » de Venanson correspond en fait à une construction séculaire, et donne à considérer une image fixe, une photographie, à un moment donné de son histoire.

 

La méthode utilisée est celle du relevé exhaustif de la source. Il s’est effectué à partir de l’état de sections de la Commune, confronté à la matrice qui lui a fait suite pour corriger les erreurs qui n’ont pas manqué de se glisser dans le premier document. Cette base a permis l’analyse des données collectées et de leur représentation graphique et cartographique. Il s’agit, dans un premier temps, de proposer une étude axée sur une démarche principalement quantitative.

Ces projections sont ensuite confrontées pour donner lieu à une série d’analyses qualitatives en s’attachant à relever et interpréter autant que possible les informations induites par l’analyse territoriale. Enfin, une dernière démarche sera proposée, en s’attachant cette fois à donner un caractère social à la source. Cette partie, sans doute la plus riche et la plus complexe à mener tant les entrées peuvent être nombreuses, offre une projection intimiste de la société de Venanson à la fin du XIXe siècle.

 

Le plan d’Assemblage

Une première approche est réalisée à partir du plan d’assemblage. Le document, destiné à donner une vision d’ensemble, marque déjà les grandes divisions du territoire.

Celui-ci assemble au total 2 047 parcelles pour un total de 2 200 entrées, couvrant 1 759 ha et 7 022 m² d’après les estimations des géomètres de l’époque.

Le plan d’assemblage du territoire se divise en quatre sections, couvrant des superficies inégales. Il découle vraisemblablement de la délimitation réalisée quelques années plus tôt, résultante des multiples procès rencontrés, et qui démontre toute la difficulté qu’a alors l’Administration française à établir ces mêmes limites de manière définitive. Les nécessités fiscales et cadastrales ne sont pas celles du vécu quotidien des communes. La partition choisie par l’Administration est le plus souvent le résultat d’une première démarche ayant été initiée lors de l’occupation du Comté de Nice au temps du 1er Empire. Les archives communales de Venanson ont conservé la trace de cette démarche administrative de délimitation communale, datée de 1807. L'entreprise est d’ailleurs avérée pour une partie des communes limitrophes. Le territoire est décrit du nord au sud et d’est en ouest. La première section (A, 3 feuilles) est celle du village. La section B est dite « de l’Ibac » (2 feuilles), longeant à Vésubie au nord-est puis le Siruol jusqu’à la pointe du Fort. À l’ouest, la section C, dite « de Ciabanette » (feuille unique), s’appuie sur le Tournairet au sud et longe par les crêtes les communes de la Tinée jusqu’au Caïre Gros. La dernière section (D, 7 feuilles) s’appuie sur la Tête de Colmia(ne).

 

 

L’analyse du document permet de comprendre l’organisation interne du territoire. Le cours du Riou de Venanson et ses multiples affluents l’organisent. Les grandes sections B et C, essentiellement orientées en ubac, sont couvertes de forêts et de pâturages, tout comme l’est la partie septentrionale de la section A. L’essentiel des terres utiles à l’agriculture villageoise se retrouve organisée en deux bassins, l’un autour du village (A feuille 2 et 3) et l’autre en section D (feuilles 4, 5 et 6).

 

 

 

 

Les deux grandes sections couvrant les terres au sud de la commune (B et C), placées essentiellement en ubac et en altitude, connaissent d’importantes dénivelées, entre la tête du Siruol et la Vésubie lorsqu’elle quitte la commune dans sa partie la plus méridionale (740 m), extrêmes séparés de 2 km en ligne droite. Elles ne représentent qu’une faible part du nombre des parcelles (respectivement 14 et 5 % du total) alors même que leur superficie recouvre les 2/3 du territoires. Il s’agit d’une confirmation du peu d’utilité privée que revêtent ces vastes espaces. L’étude de l’occupation des sols confirme une couverture essentiellement forestière, complétée par quelques pâturages. C’est l’image qu’en donne le tableau d’assemblage.

 

 

Occupation des sols par grandes masses culturales et par parcelles

La représentation cartographique des occupations de sols que propose le plan d’assemblage met en évidence les grandes masses. La forêt dominant au sud, les pâturages au nord, et au centre de l’espace communal, les terroirs utiles à l’agriculture, essentiellement céréalière, même si les productions de pommes de terre et de maïs sont avérées.

Pour être plus précis encore, il faut se référer à l’analyse parcellaire, à partir de l’étude de l’état de section. D’importantes variations peuvent y être décelées, apportant un degré de précision supplémentaire.

Premier apprentissage, la présence de la forêt y est minimisée, au profit des pâturages. L’analyse parcellaire montre un espace forestier plus réduit, « en dentelle », grignoté par les pâturages. Ces derniers sont bien plus présents, surtout dans la partie septentrionale de la commune. Par ailleurs, les terres privées, « lissées » comme terres arrosables, offrent une plus grande diversité de nature. Ici encore, les pâturages « rongent » les terrains utiles.

Les terres sèches remplacent majoritairement les terres arrosables, comme le font les prés secs au dépend des prés arrosés. Caractéristique qui permet de donner a priori une valeur toute relative aux capacités d’irrigation de la commune. Les deux unités cultivées, celle que nous appellerons « du village » à l’est, et celle de « Rigons » à l’ouest, se différencient plus nettement.

 

Un réseau ténu de canaux d’irrigation

C’est ce que démontre la cartographie des canaux relevée à partir des mentions parcellaires. Le parcours des rares canaux d’irrigation présents sur la commune se développe dans les sections B et C. Se référant à Longhi, « l’analyse historique se fait projection quand elle pose des questions à l’actuel ». Cette répartition induit une organisation particulière du territoire, qui peut être comprise à l’aune de l’actuel, où seuls subsistent les meilleurs quartiers agricoles, encore exploités et bénéficiant d’une modeste irrigation. 

L’état de section présente 29 parcelles concernant les canaux. Ils s’étendent sur une superficie de 12 815 m², soit près de 13 km de parcours linéaire (y compris le canal du moulin qui ne parcoure que 150 m). Le principal canal, celui du Libaret (sa terminologie change à mesure de son avancée), atteint le village après avoir parcouru l’ensemble des versants de la commune sur plus de 8 km ½. Son utilité semble assez éloignée de l’irrigation agricole. Un premier constat qui nous amènera à poser autrement la question, nous y reviendrons. Pourtant, l’irrigation agricole est bien la fonction essentielle des autres canaux. En premier lieu de ceux alimentant les quartiers de La Condamine, dans sa partie supérieure (910 m) ou inférieure (1 335 m, dont les fameux 150 premiers mètres dédiés aux moulin et scierie communaux), prenant tous deux leur source dans le vallon du Riou. Le dernier canal d’une certaine importance alimente le quartier des Champouns, au nord de la commune. Il parcourt 1 100 m pour alimenter quelques rares terres arables et prés, mais surtout des châtaigneraies. Il prend sa source sur la commune voisine de Saint-Martin-Vésubie après avoir traversé la totalité du versant en rive droite du Boréon.

 

 

Plan du réseau des canaux sur la commune

 

Les trois derniers canaux ont des parcours bien plus réduits, respectivement 260, 280 et 400 m de long pour irriguer de petits espaces agricoles isolés, au Libaret et à La Villetta.

Il existe enfin une irrigation encore plus ténue, qui permet d’identifier des terres et prés arrosables isolés dans des espaces très marginaux.

Se rajoute une « Vieille Source », la source de Calchiera, la seule à être répertoriée (D 300), étonnamment présente dans le quartier de Rigons, quartier qu’une légende tenace identifie comme le site du « premier » village de Venanson…

Cette question initiale (la présence des canaux d’irrigation) amène d’autres interrogations. En premier lieu, celle de la répartition existante entre terres privées et espaces communaux. Interrogeons les données cadastrales pour connaître l’importance des terres communales, généralement indicatives de l’organisation territoriale dans une région où la Communauté villageoise conserve encore, en cette fin du XIXe siècle, un grand rôle politique.

 

 

Source de Calchiera

 

Les terres communales

Cette importance politique se traduit par celle de l’espace communal. À Venanson, son importance ne s’est pas démentie en cette fin de XIXe siècle. Il est resté, malgré les différentes pressions exercées par les populations – qui cherchent régulièrement à s’approprier certaines parcelles, certains quartiers, ou par l’État – il n’y a pas, par exemple, de forêt Domaniale à Venanson – un élément essentiel de l’organisation économique et productive du territoire. Les terres communales n’occupent que 190 parcelles sur les 2 147 de l’état de section, soit 8,85 % du total. Elles recouvrent pourtant 1 317 ha 6 255 m², soit 81 % de la superficie totale de la commune. Notons qu’a contrario la superficie des propriétés privées s’élève à 19 %, ce qui démontre, prenant également en compte les problèmes induits par la topographie, que le territoire est utilisé sans doute au mieux de ses possibilités. Cet espace communal se divise en 669 ha 2 680 m² de bois communaux (51 % du total), 644 ha 7 420 m² en pâturages (49 %), 2 ha 1/3 de prés secs, un seul jardin, ainsi que la source de Calchiera déjà évoquée, dont la propriété est par ailleurs contestée par Antoine Abolin. Sans surprise, les terres communales sont des plus réduites en section A, et dans une moindre mesure, en section D (respectivement 92 et 89 % des superficies privatives).

 

 

 

 

 

 

 

Certaines parcelles échappent à la propriété communale comme à celle des privés. Il s’agit des terres d’institutions. Celles-ci revêtent des caractères caritatifs ou confessionnels, et sont placées sous la responsabilité de la Commune. Ces personnes morales possèdent près de 18 ha de terres de diverses natures (5,8 % de l’espace hors terres communes). La préséance est due à la Paroisse (250 m²), puis à sa Fabrique (4 ha 6 161 m² de terres de divers natures), suivies par la Confrérie de la Miséricorde (1 420 m²), les différents rectorats-fondations (ceux de Don Jean Guigonis, de la dame Buffa et celui du Rosaire, pour près de 6 ha) et par l’Hospice, qui possède 7 ha 2 200 m² de terrains. Ces terrains leurs permettent d’encaisser les loyers qui forment une part essentielle de leurs ressources financières, du moins théoriquement, quand ils leurs sont effectivement versés.

 

Répartition des biens fraternels

 

NB - Le graphique précédent ne tient pas compte de la proportionnalité

des biens des institutions collectives, mais seulement de leurs natures

 

Si la paroisse ne possède que 250 m² de terres sèches, d’autres « patrimoines » sont plus diversifiés. La confrérie de la Miséricorde, « petite propriétaire », tient un pré de 720 m² et une terre de 700. Par contre, la Fabrique est à la tête d’un patrimoine plus imposant : terres, pâturages, prés, prés secs, châtaigniers et même bois. Il en va de même de l’Hospice et des rectorats, bien qu’avec des natures et dans des proportions très différentes. Au final, les biens de ces institutions ne sont pas à négliger dans une économie agricole marquée par la pénurie de terres. Elles permettent aux familles des locataires de bénéficier de surfaces supplémentaires dont les revenus agricoles sont sans doute bien appréciables.

 

Les grands quartiers de l’espace communal

L’analyse de la nature déclarée des sols offre une image très précise de leur utilité, en insistant sur leur localisation, et en proposant une projection sociale du territoire. Terres privées, nous les qualifierons pour plus de commodité de « surfaces » ou « terres utiles », dont la nature fiscale permet de créer une véritable hiérarchisation de l’espace. Cette analyse met également en évidence des terroirs « anciens », révélés par la complexité du jeu toponymique, l’intercroisement des appellations, la « pulvérisation » parcellaire, l’importance et la complexité du réseau viaire, du bâti... Elle offre ainsi des indices ténus portant à identifier une véritable pluripolarité du territoire communal, en faisant resurgir des temps durant lesquels le village de Venanson ne semble pas avoir été l’unique lieu de regroupement de la population villageoise.

 

L’occupation des sols de la section D indique clairement quels sont les espaces les plus utilisés. Au nord, de vastes parcelles communales dédiées au pâturage. S’identifient également quelques quartiers utilisés comme prés de fauches, l’une des raretés du territoire de Venanson, dont certaines sont irriguées (ce qui en fait la préciosité). Il s’agit du Pra de la Baïsse ou du Saint-Esprit et à la Cruccola.

 

 

Occupation des sols de la section D (en miroir, les feuilles 1 et 2 de la section A, avec le village)

 

Territoires aujourd’hui isolés en altitude, ils sont néanmoins fortement parcellisés, épousant les particularités topographiques du relief. Ils forment des sortes de reliques de territoires cultivés, en partie abandonnés, qui ont pu être, en un temps qu’il reste à définir, des espaces de défrichements. Leur privatisation à ces époques ne fait aucun doute tant ils sont isolés au milieu de vastes espaces de pâturages communaux.

L’appellation de Saint-Esprit peut être considérée comme un indice fort de cette occupation ancienne. Il n’est pas alors nécessaire que ces territoires soient rattachés à d’autres espaces polarisant que sont Rigons ou le village. Rien n’interdit de penser qu’ils ont pu alors bénéficier d’une large autonomie économique, sinon politique. De rares forêts privatives y sont adjointes, mais d’un modeste revenu du fait de leur faible qualité et de leur éloignement au moment de l’analyse fiscale. L’absence ou la rareté du bâti reste une interrogation, et ne peut s’expliquer par ce même éloignement du centre villageois. Elle répond vraisemblablement à une autre logique qui nous échappe.

Les quartiers les plus humanisés se situent plus en aval. Deux espaces sont identifiables. Le premier, nous venons de l’évoquer, est celui de Rigons, quasi-exclusivement composé de terres dites « sèches », espaces dédiés aux céréales et divers pois cultivés, et assurément pour les espaces les mieux exposés, à la production de pommes de terre au XIXe siècle. La concentration toponymique indique clairement un territoire anciennement humanisé : Ribon (déformation de Rigons ?), Damiano, Beltran, Gianninetto, Barbetta, qui sont autant d’anthroponymes rappelant la présence de groupes lignagés disparus, mais aussi La Ciergia, Bonbiglia, Calchiera et surtout San Giaume (Saint-Jacques) dont le caractère religieux rappelle peut-être la présence d’un édifice sacré disparu. On ne saurait sinon l’expliquer. Associé à la seule source cadastrée, le quartier revêt effectivement un caractère symbolique fort, dépassant de loin sa seule utilité agricole. Le développement de son réseau viaire indique aussi une certaine antériorité. L’importance de la division parcellaire et le poids mémoriel qui lui est attribué encore parmi les Anciens du village en fait un lieu d’exception à fort potentiel historique.

Le second, toujours dans la partie basse de la section (Li Pras, Condaminas, Vallieras…), est une extension de l’espace agricole lié au village, sur un autre versant. Bénéficiant d’une forte irrigation (quasiment le seul de la commune), s’y trouvent les grands prés de fauche aux forts rendements, très recherchés sur le modeste marché local de la terre. Espace topographiquement contraint, il est bordé, dans sa partie aval, par des pentes importantes (Ribas, les biens nommées) qui accueillent l’une des plus importantes châtaigneraies du territoire communal. La première mention retrouvée de cette essence sur le territoire de Venanson remonte à 1476, décrit dans le censier de la Madone de Fenestres, seigneurie qui détenait des droits sur une trentaine de parcelles. Il s’agit d’arbres en complants, bordant des cultures le plus souvent céréalières. 7 cens étaient alors versés en mesures de châtaignes. Il s’y trouvait, il y a encore quelques années, un châtaignier remarquable de plusieurs centaines d’années d’existence, malheureusement coupé au début du XXIe siècle.

 

En sections B et C n’apparaissent que de rares espaces utiles, aux quartiers du Libaret, du Clot(te) et dans une moindre mesure de la Villetta. Nous y retrouvons quelques terres irriguées par les petits canaux déjà rencontrés. Le quartier le plus en amont de cet espace est d’ailleurs dénommé Les beals (« les canaux »). La topographie plus clémente, associée à une proximité avec les moulins communaux, et surtout la présence d’un important réseau viaire de chemins trans-communaux, peuvent être compris comme à la fois des causes et des conséquences du développement du quartier. Reste à en découvrir la chronologie. Il se différencie de toutes les manières nettement des espaces environnants.

Il y existe également quelques zones déclarées comme terres sèches, qui recevaient encore, fin XIXe siècle, quelques rares productions complémentaires. Plus en altitude, quand les replats topographiques le permettent, des clairières ont été ouvertes vraisemblablement depuis de nombreuses décennies – sinon des siècles – comme l’indique invariablement l’importante division du parcellaire déjà rencontré sur le versant lui faisant face. Ce sont les quartiers des Bailles, Lavigniès, Vallière grand, Colaire… Enfin, les quartiers isolés des Soccias sous la forêt de la Malune, les biens nommés (les «  grandes planches de culture »), sont comme il se doit des terres sèches. Il est reste à démontrer qu’ils correspondent aux espaces de conflits que nous avons rencontré lors des différents procès opposants Venanson à sa voisine de Roquebillière. Le reste du territoire est composé des bois et pâturages communaux, les premiers prédominant sur ces espaces généralement en ubac.

 

 

 

Occupation des sols des sections B et C

 

Ces descriptions, rendues possibles par l’analyse parcellaire de l’occupation des sols de la totalité du cadastre, permettent d’identifier les espaces utiles et privatifs. Elles démontrent la place essentielle des terres non irriguées, impliquant des modes culturaux particuliers, et ont des conséquences sur les dynamiques de la population du village. Elles soulignent aussi le caractère limité du marché de la terre, et fait de l’appropriation des meilleures parcelles un enjeu majeur de la discrimination sociale. Autant d’analyses qu’il conviendra de réaliser à partir du relevé des actes notariés. Dans le même ordre d’idées et de manière plus générale, l’analyse quantitative de l’état de section permet d’apporter les premiers éléments de réponse à nos problématiques. La répartition selon nature des parcelles amène à l’analyse suivante :

 

Sans surprise, les bois et les pâturages représentent chacun 43 % du territoire. Suivent, très loin, les terres « sèches » (7 %), puis les prés eux aussi « secs » (4 %).

Les autres espaces ne représentent qu’au mieux respectivement 1 % de la superficie totale. Ils marginalisent la propriété privative et, inversement, maximalisent la présence des Communaux.

 

Natures

Parcelles

Superficies

Bois

234

708 0851

Châtaigniers

80

14 6235

Jardins

153

1 5891

Prés

93

17 0475

Prés secs

165

58 7155

Pâturages

362

701 2048

Terres

511

110 9605

 

Terres arrosables

52

8 4515

 

1634

1735 9281

 

 

 

 

Ce n’est que si l’on s’attache à la répartition du nombre de parcelles qu’apparaît dans toute ses dimensions le poids réel de la propriété privée. Bois et pâturages ne représentent plus qu’un gros tiers des parcelles, le reste étant composé des prés, terres et châtaigneraies caractérisés par leur nature juridique. Dominent les parcelles en terre et celles des prés qui ne bénéficient d’aucune irrigation.

En croisant ces données avec celles de l’imposition par nature, l’importance de la propriété privée devient flagrante. Un bémol doit pourtant être apporté. Le document, de nature fiscale, a tendance à sous-évaluer les domaines communaux. Les estimateurs décrivaient d’ailleurs ces biens comme « de notoriété publique donnés pour un prix inférieur à leur valeur réelle ». Néanmoins, il suffit de quelques exemples pour nous convaincre de cette différence : les 43 % du territoire recouverts de bois ne présentent que 3 % de l’imposition totale.

 

Nature

%

 

Terres

4,74

 

Terres arrosables

5,65

 

Pâturages

0,60

 

Prés secs

2,58

 

Jardins

0,85

 

Châtaigneraies

10,23

 

Bois

0,96

 

Prés

11,88

De même, les 43 % de pâturages ne concourent qu’à 3 autres % d’imposition. Inversement, le très faible pourcentage de terres labourables irriguées représente 5 % de l’impôt, soit un rapport supérieur à 1 pour 5. Les terrains couverts de châtaigniers sont imposés pour 16 % du total. Mieux encore, les quelques prés irrigués représentent 19 % du total de l’imposition… À une échelle moindre, 4 % de terrains déclarés comme prés secs sont imposés pour 8 % . Et 7 % de terres déclarées non irriguées représentent 44 % de l’imposition totale. Nous touchons là à la véritable importance des terrains et à leur hiérarchisation dans l’esprit des estimateurs locaux.

Un autre indice démontre l’importance de certains terrains, inscrits dans la mémoire collective du lieu et de ses habitants. Les terres irriguées, nous l’avons dit très peu nombreuses, sont parfois même caractérisées par un toponyme particulier, comme ceux des quartiers des Pras ou des « Champs ». Des champs qui peuvent d’ailleurs porter, le temps de leur repos, des plantes fourragères telles la luzerne ou le trèfle, ce que reconnaissent parfois les enquêteurs du cadastre. Nous en avons fait l’expérience par l’analyse du cadastre de Saint-Martin.

 

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L’exemple du quartier du Libaret

 

Vue du quartier du Libaret

 

   Occupation des sols de la feuille Libaret

 

 

Quelques quartiers peuvent être caractérisés en guise d’illustration. Le Libaret, déjà rencontré, nous en offre un exemple à bien des égards intéressant. Situé à plusieurs kilomètres du chef-lieu, il regroupe, sur un versant propice, un éventail de tous les terrains disponibles sur l’ensemble du territoire, mais se caractérise par une mise en valeur bien supérieure à ce que l’on retrouve par ailleurs, optimisant chaque parcelle.

Sur un total d’un peu plus de 25 ha 1/3 (pour 139 parcelles), nous n’en retenons que 23 ha ½ (118 parcelles) qui se situent rive droite du Riou. Un gros tiers de la superficie totale est composée de pâturages (même proportion du nombre total de parcelles). Par contre, 21 % du terrain concernent des prés (7 % irrigués, 14 non, pour un total de 15 % du nombre de parcelles), 29 % de terres labourables (dont 3 % seulement sont irriguées, pour un total de 17 % du nombre de parcelles).

 

 

Contrairement aux autres quartiers, l’étude des superficies moyennes des parcelles ne place pas les pâturages et bois en première place. Ces derniers (4 526 m²) sont largement distancés par les champs irrigués (6 650 m²), certes bien moins nombreux. Viennent ensuite les pré irrigués (3 368 m²), les terres sèches (3 171 m²) puis les prés secs (2 591 m²) et enfin seulement les pâturages (2 007 m²) et les châtaigneraies (1 143 m²). Nous retrouvons dans cette analyse l’importance des terrains céréaliers (les « terres ») et ceux nécessaires à l’élevage domestique, produisant les réserves de foin indispensables (les prés), symptômes d’une économie rurale qui conserve sa fragilité. Les estimateurs ne s’y trompaient pas, quand ils affirmaient que « la population, essentiellement agricole, ne vit que du produit des terres, [et que] les habitants, généralement pauvres, n’ont d’autre ressource que le produit des bestiaux qu’ils nourrissent sur les riches pâturages communaux ».

Pourtant, en 1755, Venanson faisait encore partie des villages dont la production céréalière était, en année normale, excédentaire par rapport à la consommation estimée de sa population. Le rapport de l’Intendance y rappelait l’importance de la culture du seigle, céréale rustique d’automne, supportant de légères gelées, qui ne nécessite que peu d’eau, et dont le chaume était utilisé comme couverture pour les nombreux bâtiments ruraux éparses du territoire. Ce caractère explique l’importance des espaces emblavés qui se retrouvent dans les terres dites « sèches ».

Une remarque qui n’est peut-être pas si anodine que cela, car ces superficies parcellaires se rapprochent encore fortement des mesures anciennes, starate et emine et de leurs sous-division. Ce qui laisse à penser que les divisions des surfaces agricoles restent encore régies par les habitudes anciennes et qu’il convient toujours de conserver des superficies convenables sinon suffisantes aux pratiques culturales héritées. En cela, il est fort probable que le cadastre mette en évidence une permanence du paysage rural. Mais ne surinterprétons pas pour autant la source, ce qui risquerait de faire de cette caractéristique une « preuve » d’un prétendu espace « originel » introuvable à ce niveau de l’analyse.

 

 

Tableau imposition

du Libaret

Nombre parcelles

superficie

Moyenne par parcelle

Imposition totale

Impôt / parcelle

bâtiments

14

898

64

4,03

4,58

bâtiments en ruines

8

459

57

2,07

0,26

emplacement

1

140

140

0,63

0,63

canaux

2

540

270

0,1

0,05

bois

5

2 2631

4526

11,36

2,27

châtaigneraies

9

1 0285

1143

20,57

2,29

prés irrigués

5

1 6840

3368

74

14,80

prés secs

13

3 3680

2591

33,99

2,61

pâturages

41

8 2280

2007

27,14

0,66

terres sèches

19

6 0241

3171

77,07

4,06

champ irrigué

1

6650

6650

16,63

16,63

Totaux

118

23 4644

1 989

267,59

2,27

 

L’analyse des valeurs imposées confirme ces premiers éléments. Si les pâturages « ne valent rien » (27,14 fcs pour plus de 8 ha. de terrains, soit 1 franc d’imposition pour plus de 3 000 m²), bois et châtaigneraies y sont estimés pour des valeurs équivalentes à l’importance de la parcelle. Mais ces derniers représentent quatre fois la valeur des premiers au premier franc d’imposition (500 m² contre 1 992 m²). Il est ensuite possible de souligner une différence notable entre les prés et terres sèches quand on les compare aux prés et terres irriguées, respectivement 990 m² et 781 m² contre 227 ½ m² et 400 m². Les valeurs sont remarquables si on les compare aux pâturages et bois. À noter que la valeur productive des châtaigniers s’impose très nettement face aux espaces non-irrigués, s’intercalant à la 3e place des terres les plus intéressantes, malgré l’éloignement certain du chef-lieu communal, et cela grâce à leurs rendements.

Enfin, nous notons que la parcelle de champ irriguée dépasse en terme d’imposition celle du pré irrigué, une caractéristique qui ne saurait faire oublier qu’elle ne concerne qu’une seule parcelle (et seulement 5 pour les prés), rendant impossible toute analyse ou extrapolation sérieuses. L’analyse vaut pour ce quartier, et ne peut être généralisée sur l’ensemble du territoire, car l’imposition prend en compte la qualité des terrains, classifiés en 3 ou 4 degrés différents. L’éloignement du chef-lieu actuel doit donc également entrer en incidence.

 

Une dernière analyse nous renvoie à une appréhension cognitive du lieu. Si aujourd’hui nous considérons le Libaret principalement comme un quartier où la forêt a repris ses droits, où les parcelles disparaissent sous la reconquête des feuillus et déjà quelques résineux colonisateurs, il en était évidemment très différemment il y a près d’un siècle et demi. Par contre, il est toujours possible d’y repérer les espaces les plus « humanisés ». Les terres, et tout particulièrement celles irriguées, sont installées sur le replat du quartier, aux endroits éminemment les plus propices. Elles sont bordées par les prés, qui sont irrigués seulement quand cela est possible, le long du Riou ou des vallonnés adjacents. Enfin, une « troisième couronne d’occupations » est composée des pâturages, qui s’insèrent déjà dans le vaste espace communal englobant.

Les structures d’habitat sont conséquentes. Le modèle de bâti caractéristique de Venanson s’y retrouve : courtils (soubassements en pierres) élevés avec soin, surmontés d’une solide structure en poutraisons et planches, couverts généralement de chaumes, parfois de bardeaux. Elles se répartissent pour groupes familiaux ou amicaux, autant qu’une analyse succincte de la matrice cadastrale des propriétaires permet d’en juger. Il conviendra sans doute d’approfondir cet aspect de l’étude sociale en reconstituant les réseau généalogiques et fraternels. Leur occupation est nécessairement de nature temporaire. Elle permettait à la fois de rester sur place quelques jours sans devoir rentrer au village chaque soir, et inversement de se rendre aux champs chaque matin. Mais aussi d’entreposer les récoltes consommées progressivement sur une longue période, à mesure des besoins, d’entretenir un petit cheptel qui était géré par une sorte de transhumance interne à l’exploitation agricole tout en bénéficiant des espaces communaux. Nous pouvons rappeler à ce sujet que si la grange possède une valeur indéniable et fonctionnelle, la ruine n’en reste pas moins importante aux yeux du Fisc puisque les deux types de « constructions » sont estimées de manière équivalente. Les ruines conservent tout leur potentiel structurant, car ils peuvent rapidement recevoir les superstructures en bois déjà décrites et former ainsi de nouveau des bâtiments ruraux fonctionnels. La notion de propriété du sol revêt ici toute sa valeur.

Les châtaigniers, enfin, sont situés sur des parcelles dont le profil laisse deviner à la fois l’étroitesse et la position en rive, en surplomb du chemin d’accès. Indices d’une utilisation par défaut de terrains sinon stériles. Il est même probable qu’elles bénéficient, placées en contrebas des autres cultures, des eaux résurgentes et d’infiltrations.

 

Les châtaigneraies

Les châtaigniers justement, forment une occupation des sols très particulière. Ils sont localisés en de rares endroits, sans doute propices par la nature du sol et par le peu de rapport que l’on pouvait en attendre : au plus bas des versants des Champouns sur la rive droite de la Vésubie, ou encore de la Condamine le long du Riou, essentiellement en rives comme nous l’avons déjà constaté dans le quartier du Libaret. Ces positions pallient en grande partie au manque récurrent d’eau d’irrigation que nous constatons sur l’ensemble du territoire de Venanson.

Ils représentent 14 ha 8 500 m², divisés en 82 parcelles, soit une moyenne de 1 811 m². Leur imposition est relativement importante, avec 827,82 frs en totalité, soit plus de 10 frs la parcelle ou mieux 1 fr d’imposition pour environ 180 m² de châtaigneraie, soit une valeur très inférieure à celle que nous avons constaté dans le seul quartier du Libaret. Tous les terroirs ne se valent pas.

Les parcelles de châtaigniers, parfois regroupées en de véritables exploitations, sont estimées différemment selon les quartiers qui les abritent, selon leur âge et production estimée. Les 1ères qualités représentent 27 % de la superficie en châtaigneraie, 42 % pour la seconde, 31 % pour la troisième.

 

 

Localisation des parcelles décrites en châtaigneraies

 

 

 

Les propriétés sont le plus souvent uni-parcellaire (50 % des propriétaires), un gros tiers des propriétaires possèdent 2 parcelles, alors que seuls 2 % en possèdent au moins 5. On peut imaginer dans ce cas qu’il s’agisse d’une véritable exploitation, plus qu’un simple complément de production. Les superficies concernées peuvent être importantes.

C’est le cas pour Lazare RAIBERTI, originaire de Saint-Martin mais habitant en Italie, qui possède 1 ha 7 700 m² de châtaigneraies d’un seul tenant (qui plus est venant en adjonction de ses autres propriétés sur le territoire contiguë de Saint-Martin-Vésubie, quartier Deloutra12).

Dans son cas, il n’est évidemment pas l’exploitant, et délègue le travail à son métayer. C’est également le cas pour le plus grand propriétaire de la commune, François GUIGO, qui se trouve à la tête d’une châtaigneraie de près d’1,2 ha. ; de Louis PLENT Curan ou Louis MAÏSSA qui approchent l’ha. de châtaigniers. Il est également envisageable que le terrain serve de pâture temporaire, ou de prés de fauche si la topographie le permet, offrant ainsi une ressource supplémentaire à l’exploitation familiale.

 

En fait, si les châtaigneraies sont parmi les parcelles les plus imposées, 54 % des propriétaires le sont pour moins de 10 frs, sommes relativement modeste. Par contre 9 % d’entre eux le sont pour plus de 50 frs, marquant pour eux une dépense conséquente et sans doute une véritable ressource productive.

 

 

La structuration de l’espace

L’un des problèmes que posent les châtaigneraies, avec celui de l’irrigation, est l’accès aux parcelles. Une grande part d’entre elles est située sur des versants abrupts bordant les terres labourables et les prés utiles. Nous avons déjà noté qu’un important réseau de chemins organise le territoire de la commune. Si l’on se réfère au plan d’assemblage du cadastre, un premier constat s’impose. Venanson est « tourné vers le Nord ». Quatre chemins transgressent, d’ouest en est, les limites communales : le chemin de Faut passant par le col de Varaire (1 710 m) ; le chemin de Valdeblore passant par le col de Classelières (1 641 m, appelé aujourd’hui le col de Colmiane) ; le sentier menant au pas de Sibour (1 294 m) ; le chemin de Saint-Martin, que reprend en partie la route actuelle (aux alentours des 1 000 m d’altitude). Ils mettent en évidence l’importance des relations qu’entretien la commune avec ses voisines et font du territoire un véritable lieu de passage inscrit dans des échelles bien plus larges que son simple territoire.

Par contre, le réseau viaire vers l’ouest et le sud ne concerne que les chemins d’accès aux quartiers agricoles. Le premier, le plus proche du village, mène à l’Ibagon puis aux Condamines, pour enfin traverser le Riou et atteindre le Libaret,et ses deux extensions vers le sud-ouest aux Cognès, vers le sud-est à Lavigniès. Le second se dirige résolument vers Rigons au quartier Calchiera. Un troisième démarre rive droite du Riou, peu après les moulins, pour rejoindre les quartiers très périphériques des Soccias. Au final, il existe bien deux axes principaux de direction nord-est / sud-ouest qui, si l’on accepte le paradigme de la permanence des chemins, identifient un territoire contraint et sans doute très ancien, restreint aux quelques rares espaces utiles. Cette faiblesse localisée et structurel du réseau viaire apporte une explication à l’orientation économique de la commune.

 

 

Plan d’assemblage avec réseaux d’irrigation et des chemins

 

L’originalité de la possession des territoires des Champouns, rive droite de la Vésubie, pourrait renvoyer à un autre territoire, antérieur, peut-être celui que l’on appelait alors Anduebis, et qui reste encore en cette fin du XIXe siècle un espace de partage, de co-exploitation entre Venanson et sa voisine de Saint-Martin.

 

Répartition toponymique sur le territoire de Venanson selon le plan cadastral « Napoléonien »

 

Cette faiblesse structurelle est renforcée par l’étude de la localisation et de la concentration toponymique. Deux espaces à forte concentration peuvent être identifiés, l’un, sans surprise, sous le village, l’autre à Rigons, reliés par une zone de transition où l’imbrication toponymique, encore importante, l’est de manière plus lâche. Ailleurs sur le territoire, il n’y a guère que le terroir autour de Lavigniès, isolé, qui connaisse une concentration toponymique remarquable, certes de moindre importance. La règle de la répartition topographique selon la division des vallons trouve sa meilleure expression sur la commune de Venanson, au relief fortement compartimenté. S’il convient de se méfier des transcriptions toponymiques de l’Administration française dans des territoires récemment annexés, qui ont parfois donné lieu à des appellation aberrantes, quelques cas peuvent donner une série de pistes explicatives.

En premier lieu existe une série de toponymes à connotation religieuse. Ils sont peu nombreux : Saint-Esprit, San Giaume concernent la zone de Rigons déjà rencontrés, alors que Saint-Roch et Saint-Jean marquent logiquement la sortie du village. Saint-Esprit peut à la fois rappeler la présence d’un ancien édifice religieux désormais disparu, mais aussi faire mémoire de la Confrérie du même nom, considérée en Provence comme fondatrice des Communautés jurées d’habitants ; confrérie qui, en plus de son rôle politique, possédait le plus souvent un important patrimoine foncier destiné à lui fournir les revenus essentiels à sa liturgie annuelle. Nous avons déjà avancé une hypothèse de la présence de San Giaume.

 

L’analyse spatiale met en évidence l’éclatement du toponyme. Plusieurs parcelles, toutes séparées, sont localisées sous ce toponyme. Cette particularité laisse entendre que les autres toponymes sont venus recouvrir ce vaste quartier, comme autant de strates historiques, résultat d’un « processus lentement à l’oeuvre et résultant d’innombrables ajustements ».

Madomina, enfin, peut-il être justement l’une de ces erreurs de transcription, rappelant la présence d’une « petite Madone » ?

Une autre série de toponymes renvoie, toujours de manière attendue, à l’organisation agricole : Fornas (qui rappelle la présence d’anciens défrichements), Vignas (les grandes vignes), Courtillas (les grands courtils, soubassements en pierre de granges effondrées), qui sont tous des ‘augmentatifs’. Mais aussi Nogiarès (les noyers, que l’on retrouve déjà fin XVe siècle), le Moulin, et tout proche, Les Fabres qui renvoie à la même activité du travail du fer ; la Taullieres (où l’on fabriquait des tuiles, toponyme également très présent dans les autres communes), Crotassa (les grandes caves), la Soouccia Longua (les longues planches de culture, également appelées différemment sur la même commune : Sauchè, Soccias) ; les Cluot et Clos qui renvoient à des parcelles encloses, mises en défens, mais aussi à des superficies (1 émine ½, soit environ 1 200 m²), les Beals (les canaux), ou encore le Collet de Loubo (le Collet du Loup ?)… Il existe bien un « champ de l’Aigle » ou un « pré Bataille » qui ne cessent de surprendre tant leur appellation ‘sonnent moderne’.

N’oublions pas Les Condamines, les « belles terres » ou « terres seigneuriales » comme il est parfois convenu de les appeler, ce qui n’est pas totalement erroné. Elles renvoient à un co dominium, à une double seigneurie – mais laquelle ? – qui pesait sur ces espaces agricoles. Elle nous rappelle que le plus ancien document faisant mention de Venanson est celui de la prétendue « restitution » des dîmes à l’évêque de Nice par le seigneur Rostaing, en 1067… mais que le territoire de la commune regroupe aujourd’hui deux Condamines, ce qui peut renvoyer à la présence de deux unités différentes, depuis regroupées.

Ou encore le ‘comique’ Les Minaüs, non pas les « mines » comme l’homophonie française pourrait le laisser entendre, mais une mauvaise transcription de l’eminaou, une mesure de surface (l’émine, équivalant à environ 800 m², soit ½ starate ou sestarou).

Se retrouvent encore des caractères géomorphologiques, tels les Lauzes (les ardoises) et la Clapaïreta (le petit clapier), ou encore les Graves et Roubinas (résultats de décapages érosifs), le Cognès (le coin), Ribas (les grandes rives), Li Gorges, le Brec, la Cluse ou L’Ibac

Enfin, quelques anthroponymes semblent encore apparaître : Beltran, Damiano, peut-être Gianninetto déjà rencontré, ce qui peut renvoyer à des périodes assez anciennes.

Dans tous les cas, l’ensemble toponymique de Venanson confirme à la fois l’ancienneté de l’occupation humaine, et la densité qu’elle connue dans certains quartiers. Elle met aussi en évidence une importante stratigraphie toponymique, une succession d’appellations qu’il est délicat de dénouer. Les appellations d’origine gavuot y sont encore dominantes en cette fin de XIXe s.

 

La très forte concentration de toponymes sous le village s’explique à la fois par la proximité et l’accessibilité des sites et par le caractère propice à l’agriculture du versant, au relief plus « agréable », espaces protégés des vents dominants et exposés au sud. On peut y voir, en suivant Nicolas Carrier et Fabrice Mouthon, un « enrichissement de la toponymie [qui] indique l’achèvement de la maîtrise du sol » par les exploitants et propriétaires.

 

Plan des quartiers toponymiques section D

 

Il est notable sur cette projection toponymique de constater à la fois l’étendue importante des appellations d’altitude (la Costière ou Codesales par exemple) et inversement l’imbrication et la pulvérisation toponymique des quartiers de la zone de Rigons, où parfois une seule parcelle porte un nom original.

Au final, cette densification toponymique remarquable aux abords du village se complète par une imbrication évidente de certaines appellations, produit d’une chronologie relative à leur apparition..

 

Le bâti et autres espaces fonctionnels

Autre paradigme, celui de la permanence de l’habitat considéré comme un élément structurant d’un territoire. De fait, le cadastre « permet une étude sur les formes de dispersion de l’habitat, habitats et granges agglomérées, isolées, regroupés autour d’une cour, d’une aire, de la part des espaces communs, de leur accès ». Il est pourtant très aléatoire de proposer une hiérarchisation des natures de bâtiments cadastrés. Comment faire la distinction entre un simple « bâtiment » (123 en état auxquels s’ajoutent 24 autres, dits « en ruines ») et un « bâtiment rural » (58 item). De plus, aucun ne peut être considéré comme « maison » : 43 item plus 3 masures. Aucune n’est d’ailleurs située hors de l’agglomération de Venanson, contrairement à ce qui peut exister sur le territoire voisin de Saint-Martin. Le plus souvent, la maison possède une cave ou une écurie, qui par ailleurs est, pour cette dernière, parfois décrite à part (12 item), comme relevant d’une autre propriété, ou ayant été récemment acquise. Une remarque toutefois. La totalité des bâtiments possédant une cour est, sans exception, située en section A. Une forte majorité des « simples » bâtiments le sont aussi. Inversement, les bâtiments ruraux sont plutôt situés en section D. Leur présence renforce le caractère rural de l’espace qu’ils organisent.

 

Nature

Nb

 

Nature

Nb

Mairie

1

79

 

Four à pain

1

47

Maisons

43

2709

 

Moulin à farine

1

35

Masures

3

101

 

Scierie

1

40

Bâtiments

78

3867

 

 

 

 

Bâtiments + Cours

44

4595

 

Canaux

28

12665

Bâtiments + écurie

1

95

 

Canal du moulin

1

150

Bâtiments en ruines

24

1508

 

Fontaine et lavoir

1

75

Bâtiments ruraux

58

2512

 

 

 

 

Cours

8

466

 

Église paroissiale

1

255

Emplacements

13

850

 

Chapelles

4

163

Aires

19

1280

 

Cimetière

1

175

Passages

5

318

 

 

 

 

Ruine

1

32

 

 

 

 

Sols d'écurie

12

768

 

 

 

 

 

La conjonction axes de circulation / habitat dispersé rural est évidente et naturelle. Une très importante majorité des bâtiments hors du village s’égrainent le long des chemins avec quelques concentrations remarquables : à l’Ibagon et aux Granges les biens nommées, puis aux Condamines et au Libaret. Très peu dans l’entre-deux. L’autre axe traverse, assez loin du village déjà, les cabanes de Serras, puis atteint les granges de Calchieras. Ailleurs, il ne s’agit que de bâtiments isolés utilisés pour l’exploitation de quelques parcelles : c’est le cas déjà rencontré des Soccias, ou proche du Libaret le quartier de La Villetta, ou tout au nord au Pré Salès, qui démontrent tout l’intérêt de ces espaces agricoles excentrés, considérés comme essentiel aux productions familiales puisqu’ils ont nécessité la réalisation d’un bâti permanent.

Un cas particulier est celui des « aires », que l’on considère généralement comme des aires de battage, donc associées à des (anciens) espaces emblavés. Leur localisation renforce encore le caractère polarisant des espaces agricoles. Il s’agit généralement d’espaces partagés. 19 parcelles de ce type sont tenues par 24 propriétaires. Certains propriétaires les possèdent en exclusivité, alors que d’autres aires, et c’est le cas en général, sont des copropriétés, partagées entre deux ou trois personnes. Il est courant d’être propriétaire d’ ¼, d’ 1/3, des 2/3 ou d’ ½ aire. Les plus petites ne représentent que 12 m², alors que les plus grandes atteignent 117 / 118 m² (moins de 70 m² de moyenne), et correspondent à des espaces productifs plus importants. Leur localisation est sans surprise : 4 aires dans le village, 4 autres aux Granges, puis un chapelet qui s’égraine jusqu’aux abords des moulins. Enfin, une autre concentration à Rigons. Deux aires sont pourtant isolées : celle du Pré Salès déjà rencontrée ; l’autre aux Champouns. Elles indiquent l’ancienne vocation céréalière du quartier. À noter qu’aucune aire n’est présente au sud du Riou, quartiers qui ne sont généralement pas, nous l’avons vérifié, destinées aux cultures de céréale. Encore faudrait-il vérifier sur le terrain la réalité de leur nature. Prenant en compte l’abandon séculaire de leur exploitation, il est à souhaiter que quelques analyses palynologiques puissent être réalisées pour plus de certitude.

 

S’il existe enfin un four, un moulin à farine et une scierie, il n’est nul part fait mention d’une forge ou d’un quelconque travail du métal qui pourtant à laissé une trace dans la toponymie de Venanson avec Les Fabres. À moins qu’il s’agisse d’un anthroponyme oublié.

 

Au final, une première conclusion s’impose. Venanson, petite commune de montagne, essentiellement circonscrite par le cirque du Caïre Gros, organisée autour de son Riou affluant de la Vésubie, a su organiser ce petit territoire autour de deux pôles agricoles : celui du Libagon au sud du village actuel suivant le versant et jusqu’au Libaret sur la rive droite, qui peut former à une époque à définir une sorte de front pionnier, ou un établissement isolé ; et celui de Rigons, qui correspond sans doute à la même réalité. La faible irrigation organisée (mais était-elle possible ?) a permis de développer une agriculture céréalière pourtant suffisante si l’on se réfère aux enquêtes de l’Intendance de Nice depuis la fin du XVIIe siècle. Un équilibre est obtenu entre cette activité et celle de l’élevage, que l’on devine à l’importance des prés, secs ou irrigués, et des surfaces consacrées aux pâturages, indice d’une activité spéculative d’élevage. Les terres irriguées en prennent plus de valeur. Il en va de même des ressources tirées des châtaigneraies, à l’importance relative mais bien sentie par les contemporains.

Il s’agit aussi de souligner l’importance de la répartition entre terres privées et terres communes, qui marque encore fortement la société Venansonenc. Sur les premières pèse l’essentiel de l’impôt car elles possèdent la véritable richesse. Les terres communes, de leur côté, très vastes, sont repoussées vers des altitudes où se développent pâtures et exploitation forestière. Elles sont pourtant essentielles au maintien de l’activité, et permettent au plus grand nombre d’entretenir un petit cheptel domestique. Même si les plus aisés des propriétaires, détenant les plus importants troupeaux, profitent le plus de cette opportunité d’usages des terres communes.

Chemins, bâtiments et toponymes permettent enfin de mieux comprendre les articulations de ce territoire. Ils donnent quelques indices permettant de relever les traces des périodes les plus reculées et incitent à considérer la construction du territoire de Venanson hors toute linéarité. Mais cette histoire reste à écrire à partir d’autres sources et méthodes disponibles.

 

2. La notion opératoire d’exploitation

Pour terminer cette analyse, il me paraît essentiel d’introduire la notion « d’exploitation », unité fonctionnelle qui participe aux trajectoires de la cellule familiale. Si le cadastre « n’est pas une représentation du paysage », il nous permet de considérer un territoire dans son ensemble en nous attardant sur la notion d’exploitation, comme nous l’aurions fait de la famille, en prenant en compte sa fonction évolutive dans le temps comme dans l’espace. La nature même de l’exploitation que le cadastre nous permet de reconstituer en fait le résultat d’une série de compositions et de recompositions. Elle nécessite, prise dans le temps long, d’utiliser les registres notariés (ou ceux de l’Insinuation pour les périodes anciennes, des hypothèques pour la période française) pour en reconstituer les aléas.

 

Les temps de la vie (mariages, successions…) mais aussi ceux, plus aléatoires des achats et ventes, leurs donnent une vitalité intrinsèque, une dynamique qu’il faudra prendre en considération pour en retracer l’histoire. Le cadastre de Venanson permet d’identifier 124 propriétaires.

Parmi eux, 100 sont des citoyens de Venanson (80,6 %), 24 sont originaires d’autres communes (19,4 %), même si certains patronymes enregistrés laissent penser qu’il s’agit de personnes issues du village (Guigo et Plent à Marseilles, le prêtre Guigonis officiant à Saint-Antonin, dans l’Estéron).

 

La quasi-totalité des propriétaires « forains » (18) sont en fait des voisins de Saint-Martin (17) et Valdeblore. Au total, ces propriétaires extérieurs possèdent 17 ha 1/3 de terrains de natures variées, réparties en 74 parcelles (c. 4 %)  dont seules 54 concernent des terrains.

 

 

Les autres sont des bâtiments avec leurs dépendances :

10 parcelles sont des châtaigniers (pour près de 5 ha), 13 des terres (pour 3 ha  1  370 m²), 14 des pâturages (pour 2 ha ½), 6 bois, 5 prés, 3 prés secs et 2 terres arrosables. Au total, 17 ha 1/3 sont entre les mains des « étrangers », soit à peu près 6 % des terres privées.

 

 

 

 

 

Les terres privées tenues par des habitants de Venanson représentent un total de 1 800 parcelles. Une fois déduites celles qui correspondent à des bâtiments et à leurs dépendances (soit 40 maisons ; les 19 aires de battages déjà étudiées, sous-divisées en un total de 34 parcelles ; 13 écuries ; 3 masures ; 70 bâtiments indifférenciés ;

 

 

53 bâtiments ruraux ; 44 bâtiments avec leurs cours ; 23 autres en ruines ; et divers emplacements…), les diverses occupations de terrains des propriétés privées locales représentent 1 483 parcelles.

 

L’analyse des superficies parcellaire permet un autre regard sur le territoire. Les propriétés privées représentent un total de 272 ha 7 670 m². Les terres non irriguées (près de 100 ha.) sont très largement les plus nombreuses (36,34 %), suivies des terrains en pâturages (53 ha 8 208 m², soit 19,73 %), et, très près, des prés secs (53 ha 3 185 m², soit 19,55 %).

Viennent ensuite les bois pour seulement 35 ha ½ (13,02 %). Les propriétés privées sont pour 12 ha 7 325 m² des prés irrigués (4,67 %) qui représentent une véritable richesse. Moins vastes sont les châtaigniers (9 ha ½, soit 3.5 %). Enfin, les terres labourables, irriguées, ne représentent qu’un peu plus de 7 ha (2,63%) . Cette courte étude confirme bien l’importance des terres dites « sèches » dans les différents finages de la commune, les ¾ des superficies. Les différents plans présentés mettent en évidence leur localisation, et inversement, l’extrême éclatement des rares terres irriguées.

Bien entendu, ces chiffres bruts ne se suffisent pas pour analyser l’importance des propriétés privées, et plus encore celle des exploitations agricoles. Il faut y introduire la notion fiscale, qui s’appuie sur une réflexion au fait d’experts nommés par la Commune, et qui apporte une valeur ajoutée incomparable à la discrimination des terrains.

 

Une première projection, permettant de considérer la moyenne des superficies par parcelle selon leur nature fait apparaître, « au premier franc d’imposition », quelques particularités : les prés secs s’étendent en moyenne sur 3 600 m² alors que les pâturages n’en représentent que la moitié (1 580 m²).

Les bois rassemblent une superficie moyenne de plus de 2 100 m² ; prés et terres irriguées respectivement 1 720 m² et 1 550 m² (valeur qui correspond peu ou prou à la superficie d’une starate !). Les châtaigniers pour seulement 1 380 m², soit, pour une exploitation idéale, l’espace nécessaire au développement de 10 arbres matures. Enfin, les jardins, cœur essentiel de l’exploitation familiale, un peu plus de 100 m². Cet ordre décroissant permet ainsi à loisir de comprendre quels sont les terrains les plus intéressants, les plus convoités sur le marché de la terre : les jardins, puis les châtaigniers, enfin les terres puis prés irrigués apparaissent comme les plus intéressants. La seule « surprise » est peut-être de considérer l’importance donnée aux pâturages par rapport aux prés secs, dans un rapport supérieur au double. Leur localisation périphérique est sans doute un début d’explication du désintérêt qui se dévoile par cette analyse.

 

L’imposition attribuée à chaque parcelle révèle enfin où se trouvent les principales richesses. Sans surprise, les terres les mieux exposées des Condamines sont les plus cotées. Cette donnée souligne quels sont les territoires sous tension, objets d’une véritable concurrence sur le marché de la terre au village. Mais il faudra encore, pour en estimer la pression, réaliser une analyse exhaustive des registres notariés sur cette période.

 

 

Si l’on s’attache à analyser le nombre de parcelles par propriétaires, toutes natures confondues, Venanson apparaît comme une commune de petits propriétaires, où l’exploitation agricole est modeste. La grande majorité des propriétaires possèdent moins de 5 parcelles de toutes natures. Inversement, seul un petit quart des propriétaires possèdent 20 parcelles et plus (dont 6 seulement, plus de 40…).

Plusieurs exemples peuvent être convoqués pour analyser la nature de leurs propriétés. Commençons par le curé Xavier Abolin, qui détient 10 parcelles utiles pour un total de 2 ha 2 046 m². 6 sont présentées comme des terres (1 ha ½). Il possède aussi 2 jardins, 1 terrain en pâturage et 1 en bois. Une maison, enfin, complète sa propriété. La totalité de ses biens est imposée à 27,74 francs. Plus précisément, ses terres représentent près de 90 % de son imposition totale. Le pâturage (près d’1/2 ha.) n’est que faiblement imposé (86 centimes), et inversement, ses jardins, pour une très modeste superficie de 126 m², le sont à hauteur d’1,14 francs. Le rapport d’importance que l’on peu relever est impressionnant : pour le pâturage, 49,88 m² est imposé au centime, alors que pour le jardin, il ne faut qu’1,10 m², démontrant que le jardin est pratiquement 50 fois plus imposé que le pâturage.

 

Un autre cas peut être utilisé pour établir une comparaison utile. Celui de Maurice Franco, qui possède également 10 parcelles utiles, pour une superficie de terrain de 1 ha et 1 078 m² pour une imposition à peu près équivalente de 24,24 francs Notons immédiatement qu’ils sont bien plus diversifiés, car ils correspondent avant tout aux besoins productifs de l’exploitation familiale. Seulement 1 450 m² de pâturages, mais 925 m² de pré arrosé, et 5 780 m² de prés secs, qui permettent d’imaginer que Maurice Franco tient également un petit cheptel familial ovin-caprin. Enfin, 2 jardins également, couvrant 145 m² (mais moins bien estimés, à 1 franc et 1 centime d’imposition). Bien évidemment, les biens du curé Abolin n’ont pas la même vocation. L’exploitation de Franco est sans aucun doute bien modeste. Elle participe pleinement à la satisfaction quotidienne des besoins familiaux, tout en nous permettant d’entrevoir quelles peuvent en être les difficultés. L’exemple renvoi l’image d’une société de très petits propriétaires, où 79 d’entre-eux possèdent moins de 10 parcelles. Il est même notable que l’hectare de terrain est seulement dépassé avec les propriétaires possédant 6 parcelles, sauf exceptions, au nombre de 5, dont 4 correspondent à des forains, le plus notable étant Lazare Raiberti qui rassemble 1 ha 7 700 m² de châtaigniers sur le territoire de Venanson, en seulement 2 parcelles, et en continuité de sa propriété de Deloutra sur Saint-Martin. Seule André Guigo et ses sœurs détiennent, en seulement 4 parcelles, 2 ha 7 335 m², pour une relativement faible imposition de 10,91 francs, en pâturages (3 020 m²), prés secs (5 820 m²) et bois (pur 1 ha 8 450 m²). Encore s’agit-il ici d’une fratrie, de biens en indivision, sujet que nous n’avons pas évoqué à défaut d’analyse notariale.

 

Nombre de parcelles

 

Avec Théophile Giuge, nous rencontrons un propriétaire possédant un patrimoine déjà conséquent. Il détient 20 parcelles, pour une superficie de 2 ha 2 609 m² imposable pour 41,06 francs : 8 parcelles de terres non irrigables pour 7 395 m² et 15 francs d’imposition ; 1 toute petite

 

terre arrosable de 150 m² et 1 pré pour 1 390 m² (6,26 francs d’imposition), 3 pâturages pour 6 510 m², 1 pré sec pour 2 665 m², 1 petit jardin de 80 m² et 2 parcelles de châtaigneraies pour 2 370 m², dont l’une couvrant seulement l’espace de 50 m² soit le terrain nécessaire à un seul arbre mature. Enfin, 2 bois sur 1 920 m² (le plus grand mesurant très exactement 1 starate, soit 1 590 m². À l’analyse, sa propriété, pulvérisée sur un vaste espace, interdit tout regroupement de parcelles. De fait, les superficies sont relativement petites. L’exemple des 8 « terres » est en cela significatif. Si l’une n’a qu’une superficie de 195 m², 3 autres tournent autour de 700 m², et les 4 dernières se placent entre 1 100 et 1 350 m². Seules 2 petites terres sont classées en 1ère catégorie, toutes les autres se trouvent en 3ème catégorie, laissant présager un bien faible revenu agricole. Rien d’exceptionnel en cela. Elles correspondent encore plus ou moins aux valeurs des anciennes mesures de superficies, emine, starate… abandonnées depuis près d’un siècle.

Parmi les biens détenus par Théophile Giuge, 8 parcelles sont en fait tenues en copropriété, par moitié par notre personnage. 3 d’entre elles concernent un bâtiment avec sa cours, un bâtiment rural et une aire. Tous les autres des terrains de natures différentes. Le poids de l’indivision des biens reste à estimer, mais il semble important sur l’ensemble des propriétés, et implique des modes culturaux différents de ceux de le pleine possession du bien. Les nécessités cadastrales ont amené les agents estimateurs à diviser le bien selon la quote-part du propriétaire, mais il s’agit le plus souvent d’une formule artificielle bien éloignée de la pratique réelle du terrain. Il fallait que chacun puisse supporter le poids d’imposition lui revenant, mais ce n’est pas pour cela que les productions potentielles des biens sont réellement partagées au prorata de la quote indiquée. La pratique du quotidien nous échappe.

 

Seuls 6 propriétaires possèdent plus de 40 parcelles, ensemble foncier qui forme un patrimoine conséquent.

 

 

Les héritiers de Louis Plent, dit Curan, gère en indivision un ensemble de 40 parcelles représentant un peu plus de 7 ha ½ de terrain pour une imposition cadastrale de 127,55 francs. 10 sont des terres, 4 arrosables, 10 des pâturages, 1 pré, 4 secs, 4 jardins, 4 châtaigniers et 4 bois. 1 maison et 3 bâtiments.

 

 

 

 

Tout aussi bien doté, vient ensuite Michel Guigo, de feu Raphaël, qui en détient 41 pour 8 ha et 8 866 m² estimés à 123,25 francs. 13 terres, 2 arrosables, 7 pâtures, 2 prés, 5 secs, 5 jardins, 1 châtaignier, 6 bois, 1 maison et 9 bâtiments.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la même catégorie, les hoirs de Simon Steve, pour leur part, en possèdent conjointement 43 s’étendant sur 6 ha et un peu plus de 7 000 m². 7 terres, 13 pâtures, 2 prés, 5 secs, 6 jardins, 3 châtaigniers et 7 bois. 1 maison et 9 bâtiments, correspondant à une grande dispersion de son patrimoine.

 

 

 

 

Célestin Guigo, de feu Joseph Antoine, est propriétaire de 45 parcelles pour 7 ha 7 705 m² et 259,55 francs d’imposition. 10 terres, 2 arrosables, 7 pâtures, 8 prés, 4 secs, 4 jardins, 4 châtaigniers, 6 bois, 1 maison et 8 bâtiments.

 

 

 

 

Les héritiers de Louis Franco sont à la tête d’un total de 47 parcelles utiles pour 9 ha 8 538 m² et 220,95 francs d’imposition. 19 terres, 1 arrosable, 4 pâtures, 4 prés, 5 secs, 1 jardin, 5 châtaigniers, 7 bois, 1 maison et 7 bâtiments.

 

 

 

Nombre de parcelles

 

Enfin, le patrimoine de Joseph Guigonis, de feu Philippe s’élève à 51 parcelles pour 14 ha 6 455 m² et 184,30 francs d’imposition. 16 terres, 4 arrosables, 9 pâturages, 1 pré, 4 secs, 7 jardins, 4 châtaigniers, 6 bois, 1 maison et 11 bâtiments.

Reste le patrimoine de François Guigo, analysé plus bas.

 

 

 

 

Les patrimoines des propriétaires les mieux dotés confirment l’importance de la possession de terres dites « sèches ». Ce type de bien forme l’essentiel de leurs biens. Mais chacun possède un éventail complet de biens, où apparaît systématiquement au moins 1 parcelle de jardin et sinon bien plus, ainsi qu’au moins 1 châtaigneraie. La maison familiale est également cadastrée. Enfin, la dispersion nécessaire des biens sur le territoire communal apparaît comme une caractéristique forte de ce type de patrimoine, chaque propriétaire possédant plusieurs granges dans les différents quartiers où se retrouvent leurs principales parcelles. Les hasards de l’héritage et les achats réalisés expliquent cette dispersion, que les modes culturaux obligent à entretenir à différentes altitudes et dans différents quartiers, chacun possédant des particularités d’orientations. Ils tentent ainsi de limiter les accidents climatiques localisés (grêles, gels…) et peuvent espérer des temps culturaux différents, car il peut y avoir plusieurs semaines d’écart entre les plantations selon le quartier concerné.

 

Nombre de parcelles

La plus grande propriété est détenue par François Guigo, de feu Antoine, avec 84 parcelles rassemblant plus de 21 ha de terres diverses. Elles se répartissent en 10 parcelles de bois (3 ha 6 000 m²), 3 de châtaigniers (1 ha 2 000 m²), 5 de prés pour 1 ha et 5 autres dits « secs » pour 2 ha ¼. 18 de terres pour 5 ha ¼, 5 de terres arrosables pour 8 300 m², 33 parcelles de

 

Natures des parcelles

Pâturages couvrant au total 6 ha 8 300 m², et enfin 5 jardins pour exactement 571 m². Le tout répartis dans 34 quartiers toponymiques différents. S’ajoutent 2 maisons, 1 cave, 1 écurie, 5 bâtiments plus 4 autres dits « ruraux », 3 en ruines, 2 emplacements sans plus de précision (pour 87 m²) et 1 passage…

 

Ce long inventaire nous permet de proposer une projection spatiale, reportée sur le plan cadastral, afin de visualiser l’implantation de la totalité de ses biens fonciers. La localisation des parcelles de François Guigo met en évidence l’extrême éclatement de sa « propriété ». Plusieurs concentrations peuvent pourtant être relevées, formant, pour certaines, de véritables exploitations. Si quelques terres éparses s’échelonnent aux alentours du village, deux « exploitations » peuvent être identifiées. La plus intéressante semble être concentrée au sud du village, dans les quartiers Vignas, Roubinas et Camps, aux alentours de 1 000 m d’altitude. Elle regroupe un ensemble de parcelles en terres sèches, mais aussi une vaste étendue de terres labourables, d’un seul tenant, et, plus loin, le long du canal, quelques petits prés et châtaigneraies. Le tout étant distant de quelques dizaines, voire centaines de mètres pour les plus éloignées, et permet une exploitation cohérente sur la journée. Cette « exploitation » permet aussi de rentrer au village tous les soirs, et ne nécessite pas forcément l’appoint d’habitats ruraux spécifiques. Des châtaigniers et des prés que François Guigo possède aussi sous le village, sur la rive droite de la Vésubie, mais qui correspondent à un autre espace d’exploitation, nécessitant un déplacement spécifique le long du chemin rejoignant Saint-Martin.

 

Localisation des propriétés de François Abolin sur le territoire communal

Une autre exploitation, plus parcellisée, se trouve autour de Rigons. Il s’agit d’une dizaine de parcelles de terres, s’échelonnant aux alentours de 1 300 m d’altitude, aux formes laniérées épousant les courbes topographiques. Deux bâtiments s’y trouvent implantés au cœur de la plus vaste parcelle. Deux pâturages, un bois au cœur duquel se trouve un pré complètent l’ensemble, dont l’exploitation est également possible sur la journée. Quelques prés secs et pâturages épars complètent ses biens. Ils se retrouvent dans les espaces périphériques isolés entre de vastes pâturages et forêts, comme au Libaret, aux Cognès, aux Prés du Siruo sous la crête de Lavignès pour la rive droite du Riou, mais aussi au Naïgiè, à Cruccola derrière la crête du Saint-Esprit, à Faut, sur le versant aux adrets. Ces parcelles font partie de quartiers anthropisés, bénéficiant d’un relief adapté aux cultures, qui relèvent du modèle des clairières d’exploitation, certes à des altitudes remarquables comprises entre 1 400 m et près de 1 800 m. L’ensemble forme assurément une propriété puissante, qui pêche pourtant par son manque d’unité.

La localisation des biens de François Guigo donne tout sa dimension à une propriété foncière exceptionnelle, qui pourtant ne diffère des autres patrimoines familiaux que par l’importance des superficies concernées. C’est le nombre des terres qui fait la richesse foncière, peu leur localisation, encore moins leur qualité. Les terres restent de médiocre qualité, et seule leur dispersion, loin d’être un problème rédhibitoire, apporte une assurance à l’exploitant de bénéficier d’un maximum de chance d’atténuer les risques vivriers lors des années difficiles.

 

Conclusion

Le cadastre « Napoléonien » de Venanson est un document riche, qui permet d’appréhender dans son unité l’ensemble de la commune. Il n’est pas pour autant une image figée d’un moment de l’histoire du territoire communal. Il représente avant tout « un état de la division de la propriété » au moment de sa réalisation. Son objectif est de représenter « le contenant d’une activité économique à la valeur fiscale mesurable ». Dans le cas de Venanson, celle-ci se révèle bien modeste. Rassemblés au cœur d’un ancien cirque glaciaire sur les pentes duquel dominent forêts et pâturages, les espaces utiles à l’agriculture y sont contraints par l’exposition et les fortes pentes. La répartition de la propriété foncière s’en ressent. La faiblesse du réseau d’irrigation, conséquence de l’étroitesse du bassin versant, rajoute encore aux entraves géographiques que doit subir la communauté d’exploitants.

Apparaissent deux espaces majeurs : le plateau bordant le village par le sud-est ; le micro-territoire de Rigons, qui permettent de développer les quartiers agricultures vitaux. Mais le territoire est également caractérisé par de nombreux isolats, espaces périphériques dont les productions, essentiellement céréales et foins, sont loin d’être anecdotiques pour l’économie domestique. Le réseau des chemins et l’implantation des bâtiments ruraux, proportionnellement très nombreux et structurant l’espace, soulignent l’importance attribué à chacun de ces lieux.

Cette économie de l’espace reflète une organisation spécifique du mode d’exploitation, marquée par la dispersion des patrimoines aussi bien dans l’espace qu’à diverses altitudes. Parallèlement, l’organisation sociale qui transparaît de l’analyse cadastrale n’en fait pas une originalité. Les propriétaires les plus importants, convoqués pour estimer, auprès de la Commune, les biens à cadastrer, par leur acte, « manifestent une [véritable] conscience sociale et locale de l’environnement » qu’il doivent parcourir. Celle-ci s’appuie, comme pour sa voisine Saint-Martinoise, sur l’importance des terres communales, et tout particulièrement de l’emprise des pâturages qui offrent autant de terrains de parcours au cheptel familial. Le poids de la communauté, déclinée sous toutes ses formes, villageoise, confraternelles, familiales, s’y lie encore fortement en cette fin de XIXe siècle.

Reste à estimer la dimension politique du document. Celui-ci marque un moment important dans l’histoire, celui de l’intégration des populations de l’ancien Comté de Nice à la France. Une quinzaine d’année après l’Annexion, l’État renouvelle une pratique fiscale déjà connue sous l’administration savoyarde, et à bien des égards rassurante pour les résidents. Il s’agit d’établir l’impôt foncier de la manière la plus rigoureuse possible. L’implication des élites sociales locales est un signe de l’acceptation du processus. La volonté d’y participer amène son acceptation par l’ensemble de la population. Elle y retrouve, par écho, le principe de sa propre identité. En cela, le cadastre de Venanson est bien un moyen accepté de l’intégration consciente de la communauté villageoise à l’État Français.

 

Le maire François Guigo pour 12 jours, Antoine Abolin son adjoint pour 6 jours, Pierre Guigo de Joseph pour 10 jours, Louis Guigo de François pour 9 jours, Célestin Guigo feu Joseph pour 4 jours, Pierre Guigo feu André pour 3 jours, Joseph Franco de Louis pour 2 jours, Louis Laugeri feu Gabriel de Saint-Martin pour 2 jours, et Louis Maïssa de François de Saint-Martin pur 2 jours, pour un total de 50 jours de vacations.

GAUCHON Ch. « Les contextes de la cadastration sarde : la fiscalité, l’espace, le temps, l’historiographie », in Cadastres et territoires. Analyse des archives cadastrales pour l’interprétation du paysage et l’aménagement du territoire, 2008 

LONGHI Andrea « Introduction », in Cadastres et territoires. Analyse des archives cadastrales pour l’interprétation du paysage et l’aménagement du territoire, 2008 

ADAM 3P 0024 – Dossier préparatoire au cadastre de Venanson, qui a servi de base à l’introduction de cet article

Absente des archives communales, une copie est consultable aux archivi di stato de Turin, cf. l’inventaire réalisé par A. BOTTARO

ADAM E 011/003 CC1

ADAM E 011/023 1G 2 et 1G 3

ADAM E 011/023 1G 1

ADAM E 011/026 1G 11

ADAM E 002/020 FF 11

ADAM E 002/020 FF 15

ADAM E 002/022 FF 22 et FF 23

ADAM E 002/026 FF 74

ADAM E 002/038 4D 8

ADAM E 002/017 DD 28

ADAM E 003/001 AA 18

ADAM E 003/019 DD 2 – voir l’article infra « Des Arbres et des Hommes »

CURSENTE B. – MOUSNIER M. « Territoires nouveaux, territoires complexes, territoires ouverts… », in Les territoires du médiéviste, PUR, 2005,

ADAM E 011/01 G 11

ADAM E 011/01G001

BURRI Sylvain « Essartage, culture temporaire et habitat en Basse-Provence entre Moyen Age et première modernité (XIIIe – XVIe siècles) », in Histoire et Sociétés Rurales,n° 46, 2e semestre 2016, pp. 31-68

ADAM E 003/026 GG 1

ABBÉ J.L. « Le paysage peut-il être lu à rebours ? Le paysage agraire médiéval et la méthode régressive », in CURSENTE B. – MOUSNIER M. Les territoires du Médiéviste, PUR, 2005, pp. 383-399

CHIFFOLEAU J. « Entre le religieux et le politique : les confréries du Saint-Esprit en Provence et en Comtat Venaissin à la fin du Moyen Age », in Publications de l’École Française de Rome, 1987, vol. 97

CURSENTE B.- MOUSNIER M. Op. Cit.

CARRIER N. et MOUTHON F. « Extentes et reconnaissances de la principauté savoyarde. Une source sur les structures agraires des Alpes du nord (fin XIIIe –fin XVe siècles) », in BRUNEL G. – GUYOTJEANNIN O. –  MORICEAU J.-M. (sous la dir.) Terriers et plans-terriers du XIIIe au XVIIIe siècle, Actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Mémoires et documents de l’École des Chartes, n° 62, 2002, pp. 217-242

ANTOINE A. « Les plans terriers du duché de Penthièvre », in BRUNEL G. – GUYOTJEANNIN O. –  MORICEAU J.-M. (sous la dir.) Terriers et plans-terriers du XIIIe au XVIIIe siècle, Actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Mémoires et documents de l’École des Chartes, n° 62, 2002, pp. 439-462

GILI É Dans l’ordre des choses… Saint-Martin-Vésubie au temps des notables (XVIè-XIXè siècles), AMONT, 2011

ANTOINE A. Op. Cit.

ANTOINE A. Op. Cit.

JAUDON Bruno Les Compoix de Languedoc. Impôt, territoire et société du XIVe au XVIIIe siècle, in Bibliothèque d’Histoire Rurale, n° 12, 2014

JAUDON B. Op. Cit.

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